LES SALONS DE 1906 Carrière veut avant tout suggérer l’âme, la faire jaillir du tré-fonds ; point n’est besoin de détailler le décor, de décrire les bibelots ambiants. Inutile de dire en quelle chambre, pourvue de tel mobilier, se trouve la Mère qu’il veut présenter; il sacrifie le dehors au dedans, la gracieuse anecdote des fanfreluches à la beauté des formes essentielles. Peintre de l’émotion humaine et non des apparences, Carrière ne songe pas à recréer les féeries d’un Turner ; il ne cherche pas, comme un impressionniste, à fixer une minute heureuse de la nature. Ce physionomiste sagace sait que les plans et les modelés sont, dans un visage, infiniment plus individuels que la couleur. Il sait, de science certaine, que la couleur ne con-siste pas dans la polychromie plus ou moins vive, mais dans la justesse des valeurs, et, comme comme un subtil esthéticien l’a dit, dans l’intensité d’observation apportée aux conflits de l’ombre et de la lumière. Il tend à exprimer l’irradiation de pensée ou de rêve émise par un visage. Son parti pris de synthèse sur les lumières et les pénombres, de simplification quasi sculpturale, l’amène à la composition de cette palette unique qui se tient dans la gamme des demi-teintes, des gris perle, des nacrés, des roux mordorés. C’est parfois une ombre fauve, à l’instar des Rembrandt de la fin, de la « sauce n de Ricard. Le public, déconcerté par ces prodigieux passages de tons, et la critique routinière, crièrent à la monotonie, accusant Carrière d’impuissance. Mais n’argua-t-on pas les gris de Corot de pauvreté monochrome ? On ne comprit guère que l’évolution de Carrière se développait comme celle de Rembrandt, de Prud’hon, de Corot, de Ricard, de Whistler. Cette fameuse brume, cette ombre chère à Carrière, c’est l’atmo-sphère même, le mouvement autour de la figure, « l’exorde qui annonce ce qui va se passer ». L’équivoque angoissante du cré-puscule subtil prédispose à l’attention solennelle; c’est l’heure élue où l’esprit veille, où, lentement, les apparitions traversent les vapeurs de la lumière agonisante… Carrière montre l’homme détaché des contingences. Comme autrefois Prud’hon, il est hanté par le