LA PEINTURE 71 mon compte, je regrette fort que certains artistes, comme les Allemands Uhde et Liebermann, comme le Danois Viggo Johansen, aient désappris le chemin de nos expositions. Ce serait de notre part un aveu de faiblesse que de nous retrancher et de nous isoler chez nous, par une crainte puérile des concurrences. Ouvrons donc largement la porte à tous les hôtes qui, tout en nous ren-seignant sur le mouvement de l’art à l’étranger, nous avertissent du même coup de nos qualités propres. Tolérons même certains engouements exagérés et la manie que nous avons souvent de nous déprécier nous-mêmes. La générosité en pareille matière est encore le meilleur des calculs. Tout ce qui suscite l’activité de l’esprit est salutaire : encourager la sécurité par l’ignorance est la plus sotte et la plus funeste des politiques. Je me refuse à ratifier les réputations de clocher que de verbeuses incompétences ont prétendu parfois nous imposer ; mais je n’entends rien à cette attitude revêche et jalouse qui ne veut pas reconnaître d’autres talents que les nôtres. Qu’un génie paraisse hors de nos frontières, quelle muraille de Chine pourrait donc l’empêcher de pénétrer jus-qu’à nous? et quel avantage trouverait-on à cette exclusion? Il y a des gens qui se font une idée singulière de l’esprit français et de l’éducation qui lui convient. A les croire, il est de complexion si délicate que le moindre souffle venu du dehors est capable de le froisser et de le faire dévier. Il faut le tenir en serre chaude et faire bonne garde autour de lui. Il est évidemment regrettable que Tolstoï ait été traduit ou que Wagner soit joué sur nos théâtres. C’est vraiment avoir peu de confiance dans l’originalité du génie national. Quand on voit tant d’esprits qui se travaillent à être français et rien que français, on finit par n’aimer plus que ceux qui le sont sans le savoir. C’est devenu une profession et une carrière que d’être de son pays. Des douaniers vigilants et soupçonneux montent la garde à la frontière et mettent la main au collet des idées qui voudraient passer en contrebande. Celui-ci décrète que nous n’avons plus de