68 LES SALONS DE 1904 La Grèce n’eût peut -être pas été la Grèce sans Marathon et Salamine, mais ce qui fit la grandeur de son art, c’est la grandeur de sa pensée, c’est la possession continue et sereine d’un idéal humain qui s’harmonisait pleinement aux forces de la nature. Le moyen âge découvrit une forme de beauté nouvelle dans l’exaltation de la vie intérieure et dans son essor vers le divin. En récon-ciliant deux principes opposés, l’esprit et la matière, la force antique et l’intériorité chrétienne , la Renaissance a créé un type admirable de sensualité pensive et tendre et de vigueur spiritualisée. Rien ne s’est perdu au cours des âges. Quelque chose de la santé païenne s’est transmis à l’extase gothique, et dans la Renaissance du paganisme a persisté la douceur que le sentiment chrétien avait insinuée au coeur des hommes. Tout le passé vit en nous et nous prépare à prendre une conscience plus complète de notre huma-nité. L’homme, l’artiste d’aujourd’hui ne serait-il pas celui qui sentirait le plus vivement le lien de nécessité qui rattache le mystère de son être au mystère universel, et le lien de sympathie qui l’unit plus étroitement encore à ses semblables? qui garderait de l’antiquité la forte et stoïque résignation aux lois de la nature, du christianisme la communion plus tendre et plus sensible avec toute l’humanité ? Cette sympathie élargie jusqu’à embrasser toutes les formes de l’être, jouissant de toute la beauté du monde et souffrant de sa souffrance, n’est-elle pas la source éternelle de la poésie et de l’art ? J’ignore ce que sera l’art de demain, mais je serais fort sur-pris s’il ne s’inspirait pas de ce sentiment d’humanité qui, dans une époque dispersée et confuse, est cependant ce qui tend le plus énergiquement à se réaliser dans les coeurs et dans les esprits, dans les institutions et dans les moeurs. Toutes les fois que la conscience humaine s’est affranchie des antiques terreurs et des préjugés opprimants en retrouvant l’accord de ses instincts avec sa pensée, l’art qui est la joie des hommes libres, a répondu à cet élargissement des âmes. L’art est un cri d’admiration et de