66 LES SALONS DE 1904 plus variée que profonde, et plus multiple qu’intense , il paraît assez difficile de déterminer en quel sens se dessine l’évolution de l’art contemporain. Un fait se dégage cependant assez nette-ment, c’est qu’il est plus orienté vers l’intimité que vers l’héroïsme, et que la faculté d’observer, de voir et de dire juste y prime la puissance d’imaginer. Faut-il s’en inquiéter ou s’en plaindre? Je ne le crois pas. D’abord, parce que l’imagination de l’artiste consiste moins à inventer qu’à découvrir, moins à ordonner des faits et à traduire des idées qu’à rendre sensibles celles qui sont implicitement contenues dans les formes de la nature. L’erreur de toutes les décadences est de s’attacher soit au récit des faits, soit à l’exposition didactique des idées, en un mot au sujet, et de sub-stituer la raison qui déduit à l’instinct direct. Il n’est pas défendu à l’art de raconter ni de penser; mais, par cela même qu’il se déve-loppe dans l’espace et non dans le temps, il est fait pour exprimer des états plutôt que des actes, des moments lyriques plutôt que des péripéties dramatiques. C’est une vérité devenue banale que les plus purs chefs-d’oeuvre se sentent et ne se racontent pas. Que font les figures assises ou couchées au fronton du Parthénon? elles se contentent de vivre, de respirer, d’être; mais avec une telle plénitude, une telle majesté tranquille que notre pauvre existence parait exsangue et atone au prix de la vitalité qui gonfle leurs flancs de marbre. Il est vrai que sur les métopes de Phigalie, guer-riers et amazones luttent, frappent et s’étreignent. Les muscles se contractent et se détendent, les corps bondissent et s’affaissent. L’intérêt n’est pas cependant dans le fait, mais dans les formes en action : l’amazone blessée qui se laisse aller languissante aux bras de sa compagne, est un poème de sensualité profonde et tendre qui se suffit à lui- même. Au fronton d’Égine encore la figuration du combat est puérilement impossible: chaque figure vaut comme figure d’acte. Et que dire des Diadumènes, des auriges et des canéphores? L’affabulation n’est rien ; la nature est tout. Immobiles, absorbées dans la tendresse ou la profondeur du rêve, ou bien à peine esquis-