LA PEINTURE 53 ne doit pas, d’après un programme préconçu, susciter ce qui selon lui devrait être, mais tirer le meilleur parti de ce qui est. Dans une carrière qui ne répond pas à des besoins immédiats et pressants, les débuts sont particulièrement pénibles. La nature même de l’artiste, sa sensibilité délicate et ardente, son mépris des contingences le livrent souvent désarmé aux difficultés de la vie. Il est de l’intérêt de tous que les êtres d’élite, faits pour agrandir notre patrimoine intellectuel et pour révéler aux hommes les beautés et les joies de la vie, ne soient pas usés et brisés avant l’heure dans la lutte pour l’existence. Mais comment l’État, cet être anonyme, fera-t-il pour intervenir dans ces destinées particulières, qui ne livrent pas dès l’abord leur secret, qui sont peu maniables, car les meilleurs sont aussi les plus fiers, et songent bien moins à faire valoir leurs intérêts qu’à sauvegarder leur indépendance? A quel signe d’élection reconnaîtra-t-il les privilégiés qui ont droit à des soins, à des ménagements spéciaux? aura-t-il des organes assez sensibles pour deviner et prévoir les vocations vraies parmi tant de prétentions injustifiées, des mains assez délicates pour encourager sans froisser et sans asservir ? Qui lui désignera les maîtres de l’avenir? Certes, si l’éducation du public était faite, la question serait résolue. Il n’aurait qu’à suivre l’acclamation. Mais il y a peut-être une curiosité, il n’y a pas de goût public en fait d’art. En ces matières, les plus lettrés sont souvent au même point que les plus incultes. Nous en avons eu récemment une preuve écla-tante avec le Balçac de Rodin. En attendant que ce goût soit formé, s’il doit jamais l’être, on sait comment les choses se passent. L’État applique aux arts la même méthode de sélection qu’aux autres carrières. 11 y a une école, des concours admission, des concours de sortie; des ateliers, des professeurs patentés. Il y a une sanction suprême, le Prix de Rome donnant droit à un séjour de trois ans à la Villa Médicis. Les résultats de ce grand effort on les connaît. Depuis Ingres, aucun des grands peintres qui ont illustré notre École au xix° siècle