36 LES SALONS DE i904 Le Mineur, de Constantin Meunier, fait un digne pendant au Penseur de Rodin. Le réalisme pathétique de l’artiste belge obéit aux mêmes principes que le lyrisme grandiose du maître français. Ici comme là, une simplification héroïque des plans, une grandeur fruste et primitive, un beau sentiment humain. Le travailleur accorde un moment de détente à ses membres fatigués ; mais dans ce repos même on devine la reprise prochaine de l’effort et l’in-destructible ardeur d’une vitalité inentamée. Sans appel indiscret à la pitié ou à la révolte, Meunier laisse, comme notre Millet, parler la nature et dit, avec une éloquente impartialité, la beauté de l’héroïsme humain luttant contre les éléments. S’il m’a semblé parfois que le sta-tuaire belge solennisait un peu lourdement ses figures, ces réserves se taisent devant la grandeur simple et calme de l’oeuvre actuelle. Le sens de la vérité gagne de proche en proche. L’ardeur, par-fois intempérante et trop hâtive, de Bourdelle s’affine en se discipli-nant au goût le plus délicat. Cet artiste, toujours en quête, expose cette année des oeuvres de maîtrise : c’est d’abord le buste du Général Philebert. La première impression est un peu bizarre, de ce torse sans bras coupé à la ceinture. Mais la tête est un morceau admi-rable et de l’accent le plus fier. Comme elle s’attache logiquement au cou et que son mouvement est bien saisi ! Une exécution nerveuse et large met en relief les particularités de l’individu en les subor-donnant à des plans simples. La saveur de nature égale la péné-tration psychologique. Cela est vivant et volontaire, précis et ample, merveilleux de vie intérieure, d’énergie pleine et ramassée, comme un buste florentin du xtr’ siècle. Un buste de femme, du même artiste, a le mouvement curieux et vif d’un oiseau qui tourne- la tête, et cette heureuse trouvaille l’anime d’une vie imprévue et charmante. Bourdelle a rencontré mieux encore dans un buste de marbre rose, non catalogué : pur chef-d’oeuvre de grâce fine et spirituelle, profil délicat, nez arqué, lèvres tendres ; c’est la fierté juvénile d’une Hébé française avec je ne sais quelle simplicité nette et pure qui rappelle les intailles égyptiennes.