LA PEINTURE Deux nouveaux venus sollicitent encore notre attention, et leur manière insolite ne saurait passer inaperçue. Je veux parler de Bonnard et de Vallotton. Tous deux ont ceci de commun qu’ils obtiennent un effet comique sans que l’on puisse dire au juste dans quelle mesure ils l’ont voulu. Dans l’Après-midi bourgeoise, Bonnard raille fort agréablement nos obésités et nos laideurs. Le coloris laineux est d’un charme subtil; le paysage, la nature morte sont traités avec esprit, certains gestes d’enfants sont finement notés en raccourcis expressifs ; d’autres personnages, adipeux et difformes, ne sont que des charges fort exhilarantes, j’en conviens. Mais l’accord ne se fait pas entre l’observation caricaturale des êtres et l’observation délicate du milieu où ils se meuvent. On reste troublé et l’on se demande si c’est à dessein ou malgré lui que l’auteur nous fait rire. Vallotton nous déconcerte, lui aussi, par une discordance analogue. Dans son Groupe de Portraits, je reconnais une volonté de dessin très personnelle, un peu lourde cependant. Il semble prendre sa tâche au grand sérieux; il s’applique, il est presque pédant, et voici que, dans ce cénacle de gens graves, sévères et augustes, s’épanouit, s’étale, se dilate comme déformée dans un miroir concave, la figure d’un artiste connu, M. Cottet, et c’est d’un comique irrésistible, et là encore la question se pose : est-ce un comique conscient et voulu ? est-ce un comique involontaire ? S’il est voulu, quelle fantaisie baroque ! s’il ne l’est pas, quelle maladresse inexcusable ! Ces deux oeuvres manquent d’unité et de conséquence; compositions mal dosées et mal équilibrées qui n’ont pas su prendre parti dans un sens ou dans l’autre. Nous voici parvenus au terme de ce premier voyage. Nous n’avons pas rencontré de ces oeuvres absolues qui nous emportent au delà des réalités sensibles, dans l’empire du rêve et de l’idéal. L’idéal, en effet, l’amour fervent de la vérité, l’ardeur de conquête manquent un peu à notre époque, du moins dans le domaine de l’art. Notre École semble quelque peu essoufflée. Elle n’ose pas ; elle ne croit pas à la mission qu’elle a de relever les esprits, de les maintenir sur les hauteurs. Il faut à l’humanité des héros qui lui montrent le