LES SALONS DE 1903 émerveillés et candides, des bouches qui s’entr’ouvrent et vont sou-rire; c’est caressant, affectueux, et l’on veut oublier ces dernières réserves pour goûter pleinement cette calme et simple harmonie. Maurice Denis a le sens du décor, chose bien rare aujourd’hui. Son talent, très composite et très neuf à la fois, s’affirme d’une façon plus décisive encore en deux petites toiles, très diverses d’inspiration et cependant très proches par la pureté du sentiment. La Mise au Tombeau, la meilleure des deux, est une scène grave et tendre qui me touche par la simplicité des gestes, la ligne expressive des silhouettes, l’harmonieuse opposition des tons, violet sombre et or vert, qui chantent doucement et plaintivement, se rejoignent et se fondent en un puissant accord. Là encore on trouverait à redire; les porteurs ne portent pas; le corps ne pèse pas à leurs mains ; mais l’impression totale est des plus pénétrantes. La Plage est tout imprégnée de joie édénique et matinale. Au bord de la mer bleue, sur la grève blonde, des femmes, des fillettes, des enfants, de sveltes nudités délicates et chastes, une mère assise et qui allaite, une jeune femme en robe blanche flottante, coiffée d’une cape rose, délicieuse apparition, au fond, un cheval blanc qui se baigne et m’a fait penser à la vision antique de Puvis, tout cela transporté dans un lointain charmant et cependant tout proche et tout familier comme un bas. relief gothique. Certes c’est là de la poésie vraie, ingénue. Je suis frappé de la parenté de Maurice Denis avec le xiv’ et le xve siècle français. Sans doute il a vu beaucoup, et ses souvenirs sont com-plexes, trop obsédants parfois. Il n’ignore pas la première Renais-sance italienne, ni Sienne, ni Florence. Mais cette fine et souriante bonhomie, qui était un des grands attraits de Puvis, ce parler gaulois, moins noble, moins sonore et plus doux que celui d’Italie, j’en retrouve l’accent en ces oeuvres qui sont d’un harmoniste exquis et d’un poète ému. Qu’il laisse donc son émotion s’exprimer plus complètement et sans réticences, qu’il aille vers la vie qu’il sent si finement et si tendrement, et qu’affranchi des conventions de petite chapelle, son talent s’épanouisse dans sa fraîcheur et sa grâce pure.