P R B 0 13 L R I K 1i .1I P de l’Académie française LES PAS PERDUS, de Pierre Gascar, même si on leur reproche de ne pas appartenir à un genre défini et d’osciller du comique à l’observation des moeurs, d’une certaine jovialité à un pessimisme certain, grief mineur auquel personnellement je ne m’attarde pas, aimant assez les tons mélangés, ont au moins la vertu d’atteindre droit au coeur d. Parisiens. Ils nous amènent, par la magie, mais toute réaliste, du décor, sous les galeries du Palais-Royal. De ce petit magasin où Mme Durafour a organisé une publication coloniale, un « répertoire » dont l’inutilité et l’infructuosité sautent aux yeux, nous voyons à travers la vitre les globes électriques, les grill., les arceaux… « Vous y croiriez être vous-même », dirait le pigeon. De fait, il ne manque que les pigeons… Sous les galeries, le long des quelques mètres que lui concèdent ses concurrentes, M. Justine, appétissante et experte, fait des pas, des pas, et en perd beaucoup avant de persuader un client passager. C’est une de ces professionnelles avec qui Colette, descendue de sa chambre aux rideaux cramoisis, quand elle était ingambe, s’amusait à converser, rien d’humain, même misérable, ne lui étant étranger. Mais aujourd’hui Mûe Justine vient de se disputer avec une des vertueuses locataires des galeries tenant vitrine de bonneterie, qui, lui en voulant de ses allées et venues, l’a fièrement calottée ! La victime a crié tout du haut de sa tête ; le garde du jardin est accouru. L’affaire est mauvaise pour Justine et elle se réfugie chez 6/16è Durafour, invoquant le droit d’asile, comme si t’eût été une Ceg élise. n’en est pas une, loin de là. Mme Durafour sent durement l’inclémence des temps et la mévente du Répertoire équatorial. Elle est proche de la faillite. Cette veuve courageuse a trois fils dont l’un consent à travailler un peu ; mais les deux autres s’entêtent à ne rien faire et, le plus beau, le garçon aux cravates éclatantes, ferait commerce de ses charmes, comme Justine, que je n’en serais pas surpris. M. Justine a l’imprudence de faire deviner qu’elle transporte ses économies dans son sac ; Mme Durafour, en dépit de ses relations cordiales avec la bonnetière (M. Cloutier), accueille donc Justine comme une enfant prodigue et l’installe chez elle. On va essayer de colmater le Répertoire ; et on entretiendra la table avec les gains de M. Justine dont l’argent n’a point d’odeur. Dans la suite, qui est drôle, on verra se dessiner des caractères. Le fils qui travaille bougonne, mais mange la soupe familiale où nagent les économies de Justine. L’aîné fait sa cour à la donzelle et échange avec elle des effusions amoureuses. Le cadet, le petit cynique, fait des réflexions qui donnent de la joie à toute la salle. Enfin, Mme Durafour, dont la morale bourgeoise a de tardifs sursauts, s’exaspère de la présence chez elle de Justine et souhaite de la bouter dehors sans lui rien restituer des avances acceptées et déjà dissipées. Une sorte de « battue » s’organise autour du jet d’eau et dans les galeries aux dalles sonos. ; Justine redoute que M. Cloutier n’ait déposé, conformément à ses menaces, une plainte au commissariat, qui l’empêcherait de revenir vers ses clients habituels. Mais le garde et Mue Cloutier sont comme Labourbourax, le gendarme de Courteline : « Sans pitié, mais non sans grandeur d’âme… » Délivrée de ses appréhensions et renonçant à des économies qu’elle compte reconstituer assez vite par son labeur et la fraîcheur de son corps, M. Justine prend sa valise. Ce n’est qu’une anecdote, vous le voyez ; Henri Monnier en eût fait un de ses petits actes mordants et Forain un dessin a une légende incendiaire. M. Gascar l’a étirée avec adresse., un talent évident d’observation vec et des atomes, dans le dialogue, qui piquent le nez et les oreilles. Le Théâtre Fontaine où la comédie se joue, dans le décor que j’ai dit, d’une exactitude presque émouvante et trèsmélancolique, a réuni une interprétation de haute saveur. En M.. Durafour, notre Valentine Tessier déploie une fougue admirable ; elle donne du relief à la caricature tout en conservant son charme inné et cette « vénusté » qui nous ensorcelle toujours. Quelle autorité, quelle justesse de ton, quelle ardeur de mouvements chez cette grande artiste ! Mme Bérubet, douce et geignarde, est une bonnetière délicieuse. On a ravie de courir chez elle pour le trousseau de bébé. Quant à Mue Rosy Vante, elle est la Justine parfaite. Allègre, effarouchée — mais par la police seule ; le reste, elle n’y craint rien — presque tendre, violente à l’instant où il convient… Les trois garçons, MM. Sounion, Guy Bedons et Claude Rich, divers autant qu’il faut et donnant à chaque personnage son accent vrai et son physique inquiétant, sont ce qu’ils doivent être ; et l’on ne peut rêver mieux. Restons Parigots encore et montons la rue Rochechouart jusqu’au numéro 65. C’est là, audacieusement, que le Théâtre de Poche, évacué (souhaitons que ce soit pour son bonheur) de sa boueuse impasse du boulevard Montparnasse, s’est installé dans une salle bien préférable à l’ancienne, mais avec de gros frais. Et comme la préfecture est exigeante, surtout envers les faibles et les entreprenants, on a tourmenté MM. Cellier et Legroux sur des questions de sécurité et de feu ; on a été lent, pointilleux ; ils disent même brutal. Et ils n’avaient plus sou en… théâtre de poche, quand ils ont enfin pu présenter leur spectacle Strindberg. Or, ce spectacle est merveilleux, et l’on devraitse bousculer à l’entrée pour y applaudir La plus forte et les Créanciers. La plus forte est un acte à deux personnages dont un seul parle, l’autre se tait. La bavarde est une pauvre femme, déjà usée par la maternité et le ménage, à qui l’autre volé l’amour de son mari. Humble d’abord, de ton presque amical, elle geint et irait jusqu’à implorer. Elle s’échauffe à la fin. Mais son lamento, piano ou forte, n’émeut pas la victoriense qui suit, d’un mil méprisant et quasi absent, le mouvement de ces pauvres lèvres. Son masque de cire, d’où sortent des spirales de fumée, son regard surtout, sont des merveilles, réalisées Par une inconnue, M. Liliale de Kermadec, saisissante et angoissante ; et Mite Serliac, la Parleuse, n’affaiblit pas le pathétique de son rôle. On n’oublie pas ce spectacle. Quant aux Créanciers, l’un des chefs-d’ecuvre connus de Strindberg, ils mettent aux prises, avec Thékla, vamp eu vampire, ses deux maris successifs. Le premier échappé au p bill, essayant de sauver le corps et l’âme du second, et sa dignité d’artiste. Mais il est trop tard. M. Arlette Merry, belle, sonore, pleine d’audace et de sex-appeal, a été pour nous une révélation. MM. Guillaume et Cellier, créanciers qu’on ne paiera pas et qui ont tout donné d’eux-mêmes, sont parfaits. R. K. rz.e.’àretvrà °e;’,…esieene,;nu re,?, un abîme souvenant qu’elle était aussi l’interprète de Feydeau. Jean .ssadN a eu en. de peine entrer dans l’uniforme de Napoléon, mais il en a Ideo ena M cala WAKO Centre d’un débutant de bonne volonté, qui a des dons de satiriste mais n’en use pas avec éclat, Wako est une sorte de conte de Voltaire dans lequel on aurait soufflé à gros poumons, pour le gonfler, un Ingénu modernisé. L’abominable homme des neiges, arraché à son Himalaya, échangera d’abord ses cris de bête pour le langage articulé des Français. Des savants et une jeune doctoresse aux charmes efficaces en dom civilisé à notre mode, et même un homme d’affaires qui tire du machinisme une richesse milliardaire, dont il se dégoûte vite. M. Hanin y est bon, et gigantesque. Françoise Spira, toute gracieuse et alléchante. Mais le fond est banal et la forme, médiocre, sauf au début où sine « confé-rence » très courtelinesque met la salle en belle humeur. C’est joué chez M. Hébertot que son flair proverbial a cette fois égaré. PITIÉ POUR LES HÉROS On peut avec sympathie signaler Pitié pour les héros, à la Comédie de Paris. Cette pièce de voix âpre conte la fin d’un grand résistant de la guerre d’Espagne, un peu écœuré de la vanité de ses efforts, de ses subordonnés aussi, et prêt tout abandonner. Ses soldats, au repos dans les Pyrénées, l’accusent de trahison et l’exécutent. Après quoi, se souvenant de ses vertus et prouesses, ils rendent à son cadavre de cérémonieux honneurs funèbres, d’une émouvante majesté. La pièce de M. A. Bandony est, comme toutes les pièces de maintenant — et c’est remarquable, que les acteurs dépassent les auteurs — admira-blement jouée par M. Vincent, athlétique et amer, et surtout par Silvia Monfort, toujours originale et passionnée. CE SOIR, ON IMPROVISE Ce chef-d’œuvre a été monté, d’après les souvenirs, sans doute, de son illustre père, par Sacha Pitoëff, au Théâtre d’Aujourd’hui (Alliance Française). Riche et saisissante soirée. Vous vous souvenez du sujet de Piran-dello : une troupe de comédiens, sous la direction d’un metteur en scènes, téméraire, doit improviser, à la mode italienne, sur le canevas d’un drame. Mais peu peu ils entrent si bien dans la chair de leurs personnages qu’ils jouent leur propre amour et leur propre douleur. La jeune Carmen Pitoëff a été superbement émouvante. Sacha, mobile, vivace et spiritueL Béatrice Bretty, savoureuse et de grand effet, dans le rôle d’une mère avilie. M. Michel Vitold, superbe d’emportement et de souffrance. Enfin, dans un rôle tragi-comique, Raimbourg, qui feint une mort de théâtre et se, débat contre le metteur en scène, a été inondé de bravos… MADAME SANS-GÊNE Un mot de la reprise de Madame Sans-Gêne par la troupe de J: L. Barrault, au théâtre Sarah-Bernhardt. La pièce est ce qu’elle est: roublarde, illustre et foncièrement basse. Madeleine Renaud a tenté de se défigurer en Maréchale Lefebvre, cette autre mère Angot. Ai-je besoin de dire que la plus grande virtuose de théâtre de ce siècle y accomplit de ravissants tours de force et y est infiniment spirituelle? Mais c’est un saxe, un tanagra, une marquise poudrée, une adorable enfant de Marivaux… Elle ne peut pas tout à fait se métamorphoser en tambour-major. 55