DE HENRI IV A LOUIS XIII A PRÈS avoir consacré nos itinéraires depuis i trois ans à la recherche presque exclusive du xixe siècle dont nos lecteurs connaissent désormais toutes les ressources, nous allons remonter le temps et aborder le Louis XIII, le premier des styles français à offrir assez d’éléments pour composer, malgré la sévérité qui le caractérise, une pièce attrayante et non dépourvue de confort. C’est sous Louis XIII en effet que les meubles prennent une place fixe et commencent à former un ensemble décoratif durable. Sous Henri IV, la plupart d’entre eux, conçus pour être emballés et transportés en voyage ou à la guerre, étaient encore pliants, donc instables par définition peu sont arrivés jusqu’à nous ; on les trouve dans les musées. Mais quelques objets, cuivres, bronzes, sculptures, etc., de la fin du xvff siècle, la statue de sainte Marie l’Égyptienne par exemple, présentée en couverture, trouveront leur place dans un décor de l’époque suivante. Le style Louis XIII, bien qu’il marque déjà n essai de réaction nationale, est encore largement tributaire de l’étranger. Au début du xvne siècle, il n’existe pour ainsi dire pas d’artisans français du meuble, ceux que Henri IV avait cherché à recruter venaient d’Italie ou des Flandres. Le mobilier s’affran-chira donc difficilement des impératifs allemand, italien ou flamand qui pèsent sur lui. Les estampes du temps, celles d’Abraham Bosse, par exemple, nous offrent des scènes d’intimité dans des pièces le plus souvent assez nues. Les meubles y sont toujours les mêmes, moins variés que ceux qui sont parvenus jusqu’à nous. Ceci nous amène à faire, en tenant compte des inventaires contemporains, le bilan mobilier de l’époque. DES SIÈGES MASSIFS ET SOLIDES Comme toujours, ce sont les sièges qui Polarisent le plus d’éléments caractéristiques. Ce qui nous frappe avant tout, c’est leur aspect Carré, leur forme massive et leur parti pris de solidité. Le mot fauteuil n’existait pas encore ; on appelait ce genre de sièges des « chaires à bras ». Les simples « chaires » ou chaises sans bras étaient dites « à vertu-gadin », du nom de ce bourrelet que les dames Portaient alors sous leurs jupes pour les faire bouffer et qui les rendait trop encombrantes pour s’épanouir à l’aise entre des limites étroites ; les dossiers en sont hauts et penchés. En général, bras et traverses d’entre-jambes sont de bois tourné en spirale et formés de balustres, c’est-à-dire de petits piliers, de fuseaux ou de quilles. Détail très caracté-ristiqué :’ aux rencontres des pièces d’entretoise avec les pieds se trouve toujours un cube aux coins abattus. Jusque-là, les garnitures de sièges avaient été mobiles ; elles deviennent fixes et sont faites de cuir gaufré, de velours en bandes ou de tapisserie. A côté des sièges en bois tourné qui nous semblent si typiquement Louis XIII, il en existait sans doute beaucoup d’autres, mais en bois simplement équarri. Leur simplicité sans beauté fait qu’ils ont disparu au cours des siècles. Durant le règne apparaissent les bergères à oreilles munies de crémaillères pour régler l’inclinaison du dossier. Tout à fait au déclin et peut-être même sous la régence d’Anne d’Autriche naissent les sièges dits « à os de mouton », particulièrement recherchés aujourd’hui, et les canapés qui annoncent le futur style Louis XIV. Ajoutons que l’intervention du tapissier était devenue souveraine. Dans bien des cas, se trouvant dissimulés par une garniture de tissu, les bois étaient complètement négligés. D. CABINETS PRÉCIEUX Ce sont les meubles les plus riches du règne, les plus méconnus de nos jours, les moins recherchés. Ils se présentent sous l’aspect de coffres en bois précieux ou plaqués d’ébène, que l’on pose sur une table. Incrustés d’écaille, d’ivoire, de métal ou de pierres dures, munis ou non d’abattants, ils comportent une multi-plicité de petits tiroirs qui permettaient aux élégantes de ranger leurs bijoux. Petit à petit, ils deviendront des meubles à deux corps, dont la partie inférieure aura la forme d’une console. DES BUFFETS SCULPTÉS Le plus souvent aussi à deux corps, armoires et buffets se rattachent directement aux tradi-tions de la Renaissance. Les moulures de lems panneaux, sculptés en losanges ou en croix de Malte, prennent un relief croissant, se taillent en facettes et sont connues sous le nom de « pointes de diamant ». DES TABLES DE TOUTES TAILLES Certaines, couvertes d’un tapis en forme tombant jusqu’à terre, n’étaient que de simples tables à tréteaux. Mais il en existe deux autres sortes : les petites tables à écrire (1 mètre à I m. 50) à un tiroir. Torsadés ou à balustre, leurs pieds sont réunis par une traverse sur-montée d’une toupie, d’un gland ou d’un pompon. L. grandes tables (I m. 80 à 3 mètres), dont le plateau très épais repose sur deux éventails reliés par une poutre centrale. Ce n’étaient pas des tables de salle à manger puisque cette pièce n’existait pas encore : on dressait le couvert n’importe où. Il semble que l’on ait déjà connu sous Louis XIII les « tables à tirer » comportant des allonges. Elles sont peu nombreuses. DES LITS A BALDAQUINS Leurs musses cubiques à colonnes torses soutenant un ciel de lit faite de pommes ou de panaches sont caractéristiques de l’époque. Le tapissier en dissimulait entièrement le bâti par tout un jeu compliqué de rideaux, de soubassements, de cantonnières et de pentes pour protéger les dormeurs du froid. Quelques châteaux français en ont conservé d’intacts. mais ils sont rares chez I. antiquaires. DES TAPISSERIES Elles sont à l’honneur en France depuis François créateur de l’atelier du château de Fontainebleau. Après lui, Henri IV en favo-risa la fabrication en attirant des artistes d’autres pays et en interdisant l’importation de tapisseries étrangères. Ayant fondé l’atelier du faubourg Saint-Marceau aux Gobelins, que dirigeaient deux Flamands, François de la Planche et Marc de Camant, il anoblit ces derniers et leur procura de nombreuses commandes, à charge pour eux d’assurer la production de quatre-vingts métiers et de former des apprentis français. Louis XIII continua cette œuvre en passant des ordres importants pour les palais nationaux. Ces initiatives royales furent suivies par des particuliers de marque comme le duc d’Epemon et le surintendant Fouquet. Un certain nombre d’ateliers familiaux devaient naître aussi à travers la France, mais la qualité de leur production sera très inférieure. Telle fut l’évolution du mobilier au commen-cement du xvne siècle. Aujourd’hui, le style Louis XIII connaît un regain de faveur. Sa silhouette incisive convient aux cadres les plus modernes et le soleil le met si bien en valeur qu’il a fourni le thème de maintes pièces de séjour dans le Midi. Dernière considération ses prix paraissent encore très abordables, comparés à ceux des meubles et objets du xvme Siècle. SAINT-SÈRE. 41