aux-Bois, Rachel lit l’oraison funèbre du Grand Condé devant Chateaubriand qui soupire « Mademoiselle, quel chagrin de voir naître une si belle chose quand on va mourir ! — Monsieur le Vicomte, il y a des hommes qui ne meurent pas », riposte Rachel. Sa grâce, souvisage long auquel l’attention jointe à la timidité prête le masque d’une ferveur flatteuse pour tous ceux qui lui parlent, valent à Rachel d’être admise dans les salons du Faubourg, et même aux bals blancs. Un Noailles lui apprend à tourner joliment un billet, un La Rochefoucauld, un Castellane lui donnent sans y penser le ton du grand monde. Emile et Delphine de Girardin lui vouent une amitié chaleureuse, point tout à fait désintéressée, car Delphine souhaite que Rachel interprète ses pièces. Elle rencontre chez eux Théophile Gautier, Delacroix, Dumas, Sainte-Beuve, qui l’admirent. Londres la réclame, l’applaudit. La reine Victoria lui offre un bracelet. Elle joue à Bruxelles, où Charlotte Brontë va la voir et, sensible à sa voix rauque, à ses pommettes rouges, à sa pâleur « de crépuscule », la devine atteinte du mal qui frappe les êtres les plus ardents à vivre. PHEEIRE ET WAI.EWSKI. ,e 29 mai 1839, NI usû•I êtectnlq,agne Rachel qui improvise un souper chez elle, Il ::arnuse de la voir brûler les beefsteaks,sourire comme une enfant aux Gammes du punch, se chantailler avec ses parents qui, sans comprendre son génie. excellent à le monnayer. Une fois les convives partir, la jeune fille lit Phèdre. Arrivée à la déclaration, elle pâlit. rougit en murmurant les vers immortels. Après avoir montré la verve un peu canaille d’une gamine de Paris, elle laisse alors admirer au poète ê je ne sais quel charme inouï répandu dans tout son être tt. Il lui devra quelques semaines de fièvre joyeuse, et l’espoir d’oublier son amertume, sa précoce lassitude pour écrire une tragédie qu’elle ferait triompher. Ce soir-là, Rachel parle avec colère de ceux qui la trouvent trop jeune pour jouer Phèdre, ce rôle qui la hante. Elle s’écrie «Si c’est parce que je suis trop maigre, je dis que c’est une bêtise !» En effet, l’amoureuse d’ Hippolyte était consumée. Une peinture d’Amaury Duval nous momre la tragédienne en péplum, avec une pluie de perles da. les cheveux et son camarade Geffroy a saisi sur le vif ce geste d’Hermione menaçant Pyrrhus. On a encore une Image de Rachel dans l’évanouissement de Camille, à quo, fait pendant un dessin qui relate l’attentat de Marseille, en 1.3, qua. une cabale de fleurs faillit la tuer. Quatre ans plus tard, un public bouleversé voit Rachel, dans un somptueux costume dessiné par Chassériau, incarner la plus dramatique des héroïnes raciniennes. En amoureuse plus sensuelle que tendre, elle laisse ses gestes ralentis, sa voix basse et pourtant distincte exprimer la force du désir. Au baisser du rideau, malgré le tumulte des applaudissements, Rachel refuse de venir saluer elle ne veut pas affadir d’un sourire ce visage qu’elle a su rendre inexorable comme celui du destin. Son succès dans Phèdre marque l’apogée de la carrière de Rachel. Elle ne mange plus sa salade dans un couvert d’étain, comme le soir de sa dînette avec Musset. Dans le somptueux hôtel que Walewski lui a fait construire, ses invités soupent dans de la vaisselle plate, et l’argenterie porte sa fière devise Tout ou rien. Au rez-de-chaussée, une bibliothèque de cinq mille volumes, un boudoir, la salle à manger. Au premier étage, des salons blancs et or, une chambre à coucher où le lit se dresse sur une estrade. Mais une porte discrète mène du domaine de l’amoureuse à la retraite de la tragédienne : une cellule meublée d’une couchette, d’une table, de deux sièges. C’est là que, loin de ses auteurs, de ses armants, de ses parents avides et tracassiers, Rachel étudie ses rôles. Le comte Walewski, en grand seigneur, lui témoigne les mêmes égards qu’à une princesse, et le fils de Napoléon reconnaîtra Alexandre. le fils de l’ancienne chanteuse des rues. Après Paris, c’est l’Europe qui l’acclame. A Potsdam, elle joue devant le roi et la reine de Prusse, l’empereur et l’impératrice de Russie. Invitée à Saint-Pétersbourg, elle y devient l’objet d’un véritable culte on jette à ses pieds fourrures et bijoux ; elle s’assied, seule invitée, à la table de l’empereur. Tant d’honneurs n’écornent pas son humour, et elle signe une lettre de cette époque « Votre tragédienne en tournée d’inspection de Majestés. o Cette tragédienne s’empare de l’éventail de Célimène Londres. Même la révolution de 1848 ajoute à sa gloire. Après avoir joué Horace, et portant encore les blanches draperies de Camille, elle dit la Marseillaise devant une salle en délire. Au Théâtre-Français, où elle règne en reine capri-cieuse, elle fait entrer sa sœur Rébecca et son frère Raphaël. Répétitions, tournées, aventures. Une incroyable force nerveuse permet à cette femme fragile, fiévreuse,