MORTE DEPUIS CENT ANS INOUBLIABLE -ACHEL R PAR JEANINE DELPECII Fille d’une race tragique, Elisa Félix aura ressuscité la tragédie française en prenant le nom de Rachel, la lemme qui gémissait à Rama et s ne voulait pas être consolée s. Née dans le canton suisse d’ Argovie, à Mumpl, en 1820, elle mourut à trente-sept ans, au début de 1858, sur la Côte d’Azur, après avoir rendu au théâtre toute sa grondeur. Viens 1830, deux fillettes pauvrement nuises, le mouchoir cousu à la ceinture, passent chaque soir dans les cafés de Lyon. Elle chantent, elles jouent de la guitare, et personne ne se tait pour les écouter. Mais les yeux de la cadette brillent d’un si sombre éclat que les clients, comme intimidés, laissent tomber leur obole dans la coquille d’huître qu’elle leur tend. Ses parents, de pauvres colporteurs juifs venus d’Allemagne, attendent l’argent de la quête pour acheter du pain. Ces fillettes, c’est Sarah Félix et sa soeur Rachel. La faim, la paresse aiguisent l’imagination le père Félix rêve de faire entrer à l’Opéra des enfants à la voix si juste, au visage déjà expressif. Grâce à la généreuse comédienne Virginie Déjazet, il peut, à Paris, donner Rachel comme élève d’abord à un professeur de chant, puis à un ancien acteur qui la fait entrer au Conservatoire. Elle n’a que quinze ans quand un de ses examinateurs note « Pauvre physique, mais déjà beaucoup de talent. ee Son physique, elle le doit aux privations, au froid grenier, face à la Morgue, où elle tousse comme ses quatre soeurs et comme son frère. Sarah, l’aînée, a tôt quitté le taudis familial pour les boudoirs de la galanterie ; Rachel aide sa mère, se lève à 6 heures, va faire le marché aux Halles, et si elle triche un peu sur les prix c’est pour acheter 3 francs un Molière à un bouquiniste. Le soir, elle épluche les légumes, ce qui lui fera dire plus tard : « On me reproche de ne pas avoir le don des larmes. Les oignons de ma mère m’en ont trop fait verser. » En raclant des carottes, elle répète ses rôles. Et sur la scène du Conservatoire, par une sorte de divination qui annonce le génie, elle retrouve les accents d’Hermione, de Camille comme si toute sa vie elle avait entendu le langage du Grand Siècle et non l’affreux mélange d’allemand, de français et de yiddish que parlent ses parents. Le père Félix, qui rôde dans les coulisses, comprend qu’on admire la diction de sa fille, mais qu’on raille sa brusquerie, sa maigreur de chat sauvage. Alors il l’emmène au Louvre, et l’ignorante interroge les statues pour elle mystérieuses, leur demande le secret d’un drapé, d’une attitude : peut-être quelque portrait italien lui donne-t-il l’idée de cacher sous îles bandeaux ce front trop bombé qui la désole. Déçue de ne se voir confier que de petits rôles à la Comédie-Française, Rachel crée au Gymnase une mauvaise pièce en vers écrite exprès pour elle, la Vendéenne, et s’y fait applaudir. Puis elle retourne rue de Richelieu et, en juin 1838, joue Camille dans Horace. Depuis la mort de Talma et surtout depuis le succès des draines romantiques, le public boude Corneille et Racine. « J’étais seul l’autre soir au Théâtre-Français », écrivait Musset. Les cris, les éclats d’Hugo et de Dumas rendent les oreilles parisiennes moins sensibles à la mesure des classiques. Le miracle d’une petite Juive allemande, c’est d’avoir ressuscité les princesses oubliées. Son jeu enthousiasme Jules Janin. Il va la féliciter dans sa loge. Elle se rappelle l’article élogieux qu’il lui a consacré après la Vendéenne et lui dit ee C’est moi que j’étai-t’au Gymnase. — Je le savions », répond le critique. Et il porte aux nues e la petite fille la plus étonnante, la plus merveilleuse que cette génération ait vue sur scène ». Ce n’est pas encore la gloire, mais c’est un succès qui transforme la vie de la débutante. Mme Récamier vient l’applaudir, l’invite, et, dans le salon de l’Abbaye-