attrayante. Et en ce centre d’érudition et de culture on parle le français, on aime tout ce qui vient de France… INVITATION AU VOYAGE. « Ponta Delgada? Marchands enrichis. Angra? Noblesse ruinée. » Ainsi parlent, dédaigneux, les habitants de Terceira, la troisième île, qui offre elle aussi ses volcans éteints, ses grottes et ses prairies à haies d’hortensias, qui possède en outre sa Baie de l’Héroïsme et ses souvenirs d’Histoire. Angra qui jusqu’en 1832 fut la capitale des Açores a des maisons aux murs inclinés à la manière de forteresses, des fenêtres grillagées comme en Castille, des balcons ouvragés d’où retombent tiges d’oeillets et branches de jasmin. C’est à ces balcons que s’accoudent les femmes, une fois par semaine, pour assister à la tourada de corda, jeu tauromachique qui ne ressemble en rien à la corrida les taureaux sont descendus des pâtu-rages et l’un d’eux, retenu par une immense corde, est lâché à travers la ville, provoqué par tous les hommes. Le jour de la tourada de corda, chacun chôme, la joie règne et à l’adresse de l’île voisine on ne manque pas de dire en haussant les épaules : « Sâo Miguel? A Silo Miguel, les taureaux deviennent vaches ! » Plus loin, à Graciosa — huit kilomètres de longueur —quand on chôme, ce n’est pas en l’honneur des taureaux mais en l’honneur du bateau. Un vapeur qui arrive en vue des falaises blanches ou qui repart, quelle distraction merveilleuse ! C’est, dit-on ici en souriant, /a Sâo Vapor. Plus loin encore, voici Sâo Jorge, dont l’un des deux ports s’appelle « la Ville des Bougies », Vila dos Velas un navire pirate fit naufrage devant cette muraille de roches sombres, il était chargé de bougies qui long-temps flottèrent sur la mer… Paysages sauvages de la Serra, haies folles de fuchsias, troupeaux. Les femmes qui préparent un fromage renommé dans tout le Portugal ou qui assemblent, patientes, des lambeaux de tissus variés pour créer des retalhos qui serviront de couvre-lit n’ont qu’à lever les yeux pour apercevoir, au delà des vagues, un triangle couronné, selon la saison, de neige ou de nuages : le Pico. Le Pico farouche sur les pentes duquel s’agrippent les vignes et dont le vin était tant goûté par la Russie des tsars. Au pied de ces roches vivent les pêcheurs. A Pico, naguère on chassait la baleine, aujourd’hui on chasse le cachalot. Aventure dangereuse. « Comparée au cachalot, dit Mario Ruspoli, la baleine n’est qu’une paisible vache marine sa gueule est immense mais ne contient que des fanons aussi inoffensifs que des « baleines » de parapluie. Mais quand la terrible mâchoire du cachalot se ferme sur une embarcation pleine d’hommes, cinquante grandes dents la broient ! » La « saison » commence par des prières. Figure de proue pour un jour, la Vierge de Guia est placée à l’avant d’une pirogue et des cordages s’enroulent autour d’elle. C’est la procession. Tous les hommes de mer ont à la main en guise de chapelet des cordages aussi et où chaque nœud représente un cachalot tué par eux… Dés lors, les guetteurs s’installeront dans les postes de vigie qui jalonnent les falaises. Un jet de vapeur apparaît-il à la surface des flots, le cri traditionnel jaillit que prolonge une cloche fébrile ou qu’accentue une fusée rouge — Baleia! Aussitôt les marins s’élancent hors des huttes de torchis. Mène-t-on un cercueil au cimetière, le cercueil, m’a-t-on assuré, est abandonné sur le bord de la route… Sous la conduite du « mestre », on se rue vers les canon à la poursuite d’un troupeau dont chaque bête peut peser jusqu’à 90 tonnes. En haut du mât de la baleinière, un mousse lancera bientôt le cri de guerre des temps héroïques en désignant de son bras tendu une lointaine masse grise — She blows! Appel qui, prononcé à la portugaise, se transforme en — Blois! Et les voiles cinglent et les voiles sont descendues. Les rames entrent en jeu. Debout sur la baleinière, le harpon-neur n’attend pour attaquer le cachalot qu’un ordre de son chef — Tranca! Et c’est le choc. Blessée, la bête a plongé,rougissant la vague et entraînant à sa suite la baleinière dans une course folle qui peut durer des heures. Parfois elle réapparaît, nage en surface. Parfois elle change brusque-ment de direction et parfois elle fait volte-face le bateau alors est menacé. Mais les marins des Açores sont de fins manœuvriers et à l’instant où le cachalot glisse près du bord un violent coup de lance perce ses poumons géants. Une montagne d’écume le cachalot se meurt. Un drapeau piqué dans cette masse grasse et grise annonce la victoire. Amarré à la vedette par un filin de la grosseur d’un poignet, le cachalot est remorqué jusqu’à l’usine, où il sera dépecé et enfin dévoré par les chaudières et les machines. Spermaceti, huiles précieuses, vitamines et engrais, ambre peut-être… Dans Pico où règne la fièvre des grands jours flottera longtemps une odeur de sang… Douce apparaît, après Pico, Fayal avec ses vergers et sa capitale, Horta, où plane vivant le souvenir du capitaine flamand Joss van Hurtere qui vers 1466 s’en vint accoster ici, où les rues qui descendent vers la mer s’appellent rue des Anglais, rue des Français, rue des Italiens, rappelant que des commerçants d’ailleurs sur la route du retour des Indes s’établirent en cette île. Et plus douce encore est l’exquise Flores qui n’est qu’un jardin de fougères, d’hortensias et de cascades, une île pour conte de fées. Enfin surgit la dernière île, la plus petite, la plus pauvre, la plus frappante, une île du moyen âge Corvo, coupée du monde six mois de l’an… Un seul village, des champs quisont à tous, une vie communautaire. On file, on tisse, On récolte le blé, on pêche, on est heureux. Pas d’argent ici on échange un peu de farine contre un bidon de lait, un choux contre deux œufs. Quand le Président de la République portugaise au cours de son récent voyage demanda aux hommes de Corvo ce qu’ils désiraient, ils répondirent d’une seule voix avec simpli. cité « Un drapeau… » Et c’est sur cette image de sérénité que prend fin le voyage aux Açores, îles romanesques, à la fois violentes et tendres, et où l’on peut respirer encore le bonheur de vivre. CHRISTINE GARNIER. Sur la page de gauche : Les routes de printemps sont des haies d’azalées ou des bordures d’hortensias. Un double joyau, émeraude et saphir, s’enchâsse dans Cete Cidades : le lac Vert et le lac Bleu, aux eaux translucides. Phntographieç Rota Gent:. 31