Fumas, si romantique avec ses rives d’acacias et de palmiers à dentelles. Fumas, avec son très moderne hôtel « Terra Nostra », son parc d’azalées géantes et les nym phéas de ses étangs, retiendra certes le voyageur. Fumas dont les vingt-deux sources guérissent, assure-t-on, toutes les maladies, Fumas, royaume des geysers, des « chau-dières » de boue, des nappes d’eau qui fument, Furnas enfin où le gouverneur de l’île, M. Carlos de Paiva, se plaît à offrir à ses hôtes des déjeuners tipicos morue et pot-au-feu cuits dans le sable brûlant. Mais les villages de Sâo Miguel… J’ai erré des heures durant parmi ces maisons roses, bleues, violettes, que dominent les cheminées massives de l’Algarve portugais, et les portes s’ouvraient sur un tapis d’aiguilles de pin —« Entrez, entrez ! » — et les femmes vêtues de noir souriaient, apportaient un plat de fèves, un dahlia frais cueilli. Douceur de l’accueil açorien, amour du geste gratuit, noblesse naturelle. Pas de clés pour ces portes qui, ici, songerait à voler ? A Agua Retorta, où sèchent sur les routes haricots et safran, on partage au moment des moissons les récoltes, on partagea si le vin qui sent la mûre et le cassis. Si on prête de l’argent, c’est sans signatures ni intérêts… Les coutumes anciennes ici demeurent. A Agua de Pau existe depuis le temps des découvertes une mystérieuse légende concernant une truie qui aurait fendu la montagne ; n’interrogez jamais une femme d’Agua de Pau à propos de cette truie ; tout comme il en était déjà au xvme siècle, elle vous injuriera et se détournera dans un flot de mots obscènes et coléreux. A Povoacao, où débarquèrent les premiers colons venus de Santa-Maria, la mort d’un âne est comme jadis prétexte à jeux poétiques, humoristiques surtout. Le propriétaire de l’âne saisit une trompe taillée dans une courge et alerte par son chant les villages alentour offre les sabots à tel habitant, le foie, les oreilles à tels autres, et les destinataires à leur tour répondent sur le même mode d’ironie. Paysans et pêcheurs, tous vivant de peu, sont fiers et courageux. Les femmes sont reines en leur maison. La poésie les habite. Je pense à ces jeunes filles qui dans le pauvre village de Rabo de Peixe — « Queue de Poisson » — brodent, agenouillées sur la terre battue, des papillons de soie, des arabesques. Je pense à la femme d’Arrifes qui, faute d’un tapis de laine, invente pour sa chambre, chaque dimanche, un éphémère tapis de fleurs… LE Ctnusx AUX DIAMANTS. Les tapis de fleurs sont la gloire des Açores. Lors des processions de juillet et d’août toutes les rues des villages disparaissent sous des corolles multicolores qui sont non point jetées au hasard mais savamment disposées, for-mant des dessins compliqués que soulignent les sciures jaunes et rouges. Arcs de triomphe, fleurs de papier, rubans, drapeaux. On suspend à chaque fenêtre une couverture tissée à la main, rose ou mauve, un couvre-pieds brodé. Quand les cloches sonnent et qu’éclatent les pétards, les anges les premiers, avec leurs immenses ailes de plumes, posent leurs pieds nus sur les tapis de fleurs, tandis que s’avancent à pas lents les pêcheurs au manteau écarlate. Puis la nuit tombe. La procession s’achemine de 28 ruelle en ruelle à la lumière des torches, l’église s’illumine de cent feux, les femmes s’agenouillent sur les marches. La joie viendra ensuite : les hommes boiront du vin sous les tonnelles, les femmes mangeront le pao santo, la brioche de fête, on dansera la sapateira ou la chamarrita aux carrefours. Des chemins de fleurs piétinés montera alors une odeur douce, un peu funèbre, et un ange égaré promènera ses ailes blanches dans une rue désertée… L’une des plus émouvantes processions qui se célèbrent avant Pâques est celle du Senhor Santo Crise», immense cortège de femmes vêtues de noir et qui portent un cierge. Le Senhor Santo Cristo de Milagres n’est dévoilé à la foule qu’une fois l’an. Cette admirable statue offerte par le pape Paul III aux premières religieuses de Sâo Miguel reçoit des dons : des propriétés, des boeufs, des bijoux surtout. Saphirs, diamants, rubis ornent la couronne de ce visage désabusé, le sceptre, le nimbe. Lors de la fête de l’Image, comme on dit ici, un empereur est élu par la foule c’est lui qui reçoit les offrandes, gâteaux, vin, fruits, poulets, qui seront ensuite distribués aux pauvres. ANANAS ET MOUSSELINES. C’est dans l’ombre du couvent de l’Esperança que brille, dorée, l’Image, à Ponta Delgada. La capitale de l’archipel possède de belles églises — Nossa Senhora do Desterro, le Colegio, 1 ‘Igreija de Matris — où s’enroulent des fioritures de lave, églises manuélines que trans-formèrent en s’inspirant du baroque les Jésuites du xvile siècle. L’ancien couvent des Clarisses, Santo André, est devenu musée d’art ethnographique, et c’est le poète Armando Côrtes Rodrigues qui, avec amour, le dirige. Jolie ville blanche et brune, d’apparence indolente, active cependant, Ponta Delgada a ses vanniers, ses tisserands, ses brodeuses. L’artisanat demeure vivant aux Açores et il suffit pour s’en convaincre d’aller errer à Vila Francs do Campo, dans le quartier où les potiers inventent au gré de leur fantaisie plats ou vasques, où les femmes font sécher au soleil les amphores molles encore ; d’entrer dans les maisons où les pêcheurs de &dela, à Capelos, font, d’une dent de cachalot, une pipe ou un bateau en miniature. Vivant aussi est le folklore certains soirs, grâce à Mme Moura Machado et au prési-dent de la Junta CeraL on peut voir évoluer sur les dalles d’un cloître, au son des violes, les danseuses à jupon bleu et rose… Ville d’artisans, ville d’hommes d’affaires surtout. Autour de Ponta Delgada s’élèvent des usines de tabac, de thé, de sucre, de conserves de poissons. L’île est assez riche pour se suffire à elle-même. Outre ses Lacticinios, ses coopératives laitières, elle possède ses serres d’ananas : on cultive ici, grâce à une fermen-tation lente de terre de bruyère, « les plus grands ananas du monde ». Et le fruit d’argent qui trône sous les porce-laines des Indes dans la salle à manger de M. Frazao Pacheco, l’une des personnalités les plus marquantes de l’île, fait figure de symbole. Que ce soit dans les maisons patriciennes de la ville ou dans les palais qu’entourent des parcs exubérants et dans lesquels évoluent des jeunes femmes en robes de mousseline, la vie de société ici est singulièrement