Le général Bertrand, Grand Maréchal du Palais, par Paul Delaroche. (Phot. Archives Photographiques.) Quand le comte de Las Cases se retire et se tait, une voix nous parle encore de Sainte-Hélène. C’est la voix du fidèle Bertrand, dont les notes quotidiennes, sténographie bouleversante s, ont été déchiffrées par M. Paul Fleuriot de Langle et paraissent chez Albin Michel. Elles constituent le témoignage le plus impartial et le plus pathétique sur l’histoire de la captivité. BERTRAND, répète Napoléon en partant pour Sainte-Hélène, est désormais identifié à mon sort. C’est historique. » Il ne lui vient pas à l’idée que cet officier du génie qu’il connaît depuis sa lointaine campagne d’Italie en 1796 et dont il a fait son Grand Maréchal du Palais en 1853 puisse jamais le quitter il sait la bravoure, la franchise de ce Berrichon qui n’a pas l’allure d’un gaillard, semble même plutôt frêle et dont le visage est empreint de douceur, de bonté. Il sait aussi son désintéressement. « Je regrette, dira-t-il, de ne pas lui avoir fait une grande fortune. Mais Bertrand ne me demandait jamais rien… » A Sainte-Hélène, dans cette réduction de cour, les fonctions de Bertrand ont été rognées au profit de l’aristocrate Montholon et du volcanique Gourgaud, mais il reste tout de même le Grand Maréchal comme si l’on était aux Tuileries. C’est lui qui délivre les laissez-passer, les autorisations d’audience et représente son maître auprès des autorités anglaises. Dans ces limites mêmes, ce n’est pas une sinécure, surtout quand on a devant soi le gouverneur Hudson Lowe, sorte d’adjudant-chef, d’autant plus ombrageux et soupçonneux que les responsabilités qui lui incombent le terrifient. Enclin de nature à la sérénité, Bertrand ne cède pas aux emportements et son désir serait d’entre-tenir avec Lowe des relations correctes « Je n’ai rien à gagner à ce que l’Empereur et lui soient mal ensemble. Mon caractère me porte àaccommoder les affaires plutôt qu’à les brouiller. Je suis l’homme de l’Empereur et il est tout simple que j’agisse constamment dans son intérêt. » Mais le malheur veut que ni le gouverneur ni l’Empereur ne facilitent sa tâche. Le premier se révèle le plus lancinant, pointilleux, exaspérant des geôliers. Le second, sans cesse humilié, blessé par tant de bassesses et songeant à son nom, à la postérité, tempête, fulmine et traite Lowe de belle façon « Il ne peut y avoir aucun rapport de société entre un geôlier et un prisonnier… Votre conduite, telle qu’elle s’annonce, sera un opprobre pour vous, vos enfants et votre nation… » A son tour Bertrand perd patience ; entre le gouverneur et lui le ton monte « Je désire avoir avec vous le moins de rapports possibles. — Je puis vous assurer, répond Lowe, que c’est bien réciproque de ma part. » Et Napoléon jette de l’huile sur le feu « Le Grand Maréchal ne veut pas avoir de rapports avec vs. C’est tout simple. Il a été grand officier de la couronne, il a commandé des armées… Vous luiou écrivez, vous lui parlez comme aux caporaux des soldats que vous commandiez… Il s’en est offensé… Personne, au reste, ne veut VOUS voir. Chacun vous fuit. » Et comme Lowe invoque les instructions qu’il a reçues « Mais le bourreau au a ses instructions. Il les exécute, c’est tout simple. Du moins on n’exige pas qu’on vive avec lui.ssi _ » Nous pensions bien connaître le dialogue de Sainte-Hélène, nous ne le connaissions qu’incomplète-ment. C’est Bertrand qui nous le révèle, lui donne toute sa valeur, toute sa résonance, car le Grand