D’UN MOIS A L’AUTRE LA MINUTE DE VÉRITÉ Il y a deux ans, à cette place, j’avais exprimé le voeu que, le 31 décembre, à minuit, avant que le monde basculât d’une année dans l’autre, chacun de nous pût dire ce qu’il pensait : sa vérité. Ce voeu, je me propose non plus une fois, mais chaque mois, de le réaliser. Si ce que j’écris appelle des observations, justifie des critiques, si ma vérité n’est pas celle des autres — n’est pas la vérité — je la rectifierai bien volontiers. C’est dire que je ne redoute point les contestations ; je les accueillerai de bon gré, prêt à ériger cet éditorial en une tribune de vérités. Commençons ce jeu en faisant remarquer que l’emploi des mots donne fréquemment à notre époque une première entorse à la vérité. On se souvient des « rectifications de front » et d’installation « sur des positions préparées d’avance ». Plus récemment, on nous a parlé d’ « alignement de la monnaie » pour ne pas user du mot « dévaluation ». Aujourd’hui on annonce timidement la « revalorisation des salaires » au lieu de dire franchement « augmentation ». La recherche d’un « interlocuteur valable » avec qui on pourrait avoir un « dialogue » est une autre équivoque. Un individu astucieux a cru faire une trouvaille en célébrant « l’indépendance dans l’inter-dépendance » » ; on ergote sur la différence qui peut exister entre la « souveraineté d’un pays et son « indépendance » et l’on camoufle le déficit sous le nom d’ « impasse budgétaire ». Comment veut-on que les gens aient le courage des actes alors qu’ils n’ont même plus le courage des mots? Ce courage des actes, il l’a eu, lui, ce mécanicien, Jean Coquelin, qui pour sauver la vie de cinq cents voyageurs resta à son poste pour arrêter sa locomotive en flammes et fut brûlé sur plus de la moitié de la surface de son corps. Ce courage-là, ils l’ont eu aussi, ces quatre-vingts cheminots anonymes qui, pour tenter d’arracher à la mort leur camarade, offrirent spontanément chacun un grand morceau de sa peau. Et voici qu’en plein Sahara ce n’est pas seulement le pétrole qui jaillit, c’est la vérité qui sort, d’un autre puits, creusé non par des techniciens en short, mais par des élèves des Beaux-Arts en blouse blanche. Une vérité qui bouleverse nos notions sur le passé du plus grand désert du globe, prouvant que là-bas, dans la préhistoire, vivaient des populations qui chassaient l’éléphant et l’hippopotame et faisaient paître des boeufs et des chevaux. Le voile se lève sur un monde disparu. Et quel monde ! Il faut aller au Pavillon de Marsan voir cette surprenante exposition de peintures rupestres, ces fresques t none Br° ».. H.° Lnete, que, durant seize mois, une équipe dirigée par Henri Lhote a relevées dans le massif du Tassili. Une vérité qui éclate l’éternel retour des connaissances humaines, de l’art, de la mode même. Certains de ces personnages n’apportent-ils pas une anticipation de la science actuelle? Voyez ici ce « Martien » à grosse tête ronde, là ce scaphandrier, ailleurs cette sorte de robot : ces êtres équipés de curieux appareils, entourés de symboles étranges, qui semblent allier la technique à la magie. Voyez ces silhouettes qui paraissent danser un ballet aérien, ces jeunes filles aux lignes étonnamment modernes qui portent des « robes-sacs ». A une femme, imposante par sa majesté, les compagnons d’Henri Lhote ont donné le nom d’Antinéa. Pierre Benoit peut être fier de sa divination. Trente ans après son Atlantide, voici le témoignage des peintres sur roche. Une fois encore le romancier a été le précurseur du savant, l’intuition a devancé la science. Mais là ne se borne pas la grande révélation de cette découverte. Elle atteste que certains de nos peintres jugés trop modernes par une foule scandalisée sont dépassés par des artistes d’il y a 8.000 ans. La belle leçon que cette vérité-là ! Jean Coquelin.