LIVRES PAR YVES GANDON LA VIE PASSIONNÉE DE MODIGLIANI : un peintre vu par un poète. André Salmon était sans doute le seul à pouvoir écrire ce livre. D’abord parce que non seulement il connut Modigliani, mais fut le premier à proclamer son génie. Ensuite parce qu’il était indispensable de situer le peintre dans le milieu où il vécut et que le poète de Prikcq n’ignore rien de cette époque où ce qu’on n’appelait pas encore l’école de Paris donna le ton à la peinture du monde entier. Cette Vie passionnée de Modigliani (Inter-continentale du Livre) PSI aussi captivante que le meilleur roman, et c’est comme un roman que Salmon l’a écrite. Les dialogues y tiennent une grande place. Mais quels dialogues que ceux dont les interlocuteurs s’appellent Max Jacob, Pierre Mac Orlan, Derain, Picasso, Severini, Kisling, Ortie de Zaratc, Brancusi et autres ! Il s’agit moins ici d’une biographie que d’une histoire vivante de la peinture dans les vingt premières années du siècle. Amedeo Modigliani, né à Livourne le tu juillet 184 mourut à Paris le z5 janvier meo. Il connut plus que la bohème, l’extré-mité de la misère, et disparut quand les mar-chands de tableaux commençaient à se disputer ses œuvres. Ses funérailles furent triomphales et celle qu’il aimait se suicida. Qui ne comprendrait André Salmon quand il déclare que ce livre lui fut lourd à porter ? C’est toute sa jeunesse qui revit en lui. Les anecdotes e abondent. Zadkine a dit de Modigliani, que ses intimes appelaient Modi s è Il avait l’air d’un jeune dieu déguisé en ouvrier endimanché. s Il buvait et avalait des boulettes de hachisch. Il était DAI:siaccGaste parmi et souus le titrei titreu ip octobre un doéubsat s’onrgeanisé par Mme Amédée Ponceau autour du roman l’Homme qui dit non d’Olivier Quéant. Cette soirée était présidée par M. Jean de La Varende et M. Gabriel Marcel, de l’Institut. La grippe avait retenu à la chambre le R. P. Guissard, de la Groix, et M. François Nourissier. Mais M. Alain Bosquet, critique littéraire de Combat, était là, et M. Jacques Dur on, directeur des Lettres, se joignit spontanément aux interlocuteurs. La discussion s’engagea sur le caractère de Jean, l’étrange héros du roman, dont l’auteur — opposant deux attitudes extrêmes — a tout au long du livre étudié et noté les réactions en face d’une société livrée aux compromissions. Jean de La Varende soutint que ce personnage l’avait touché car la qualité d’un homme, sa valeur croissent en raison directe de l’abondance de ses refus. Pour Alain Bosquet, cet Alceste ne va pas assez loin, n’est pas assez violent il dit non brutal et rendre. Il payait une consommation d’un dessin tracé d’un trait, sans reprise ni repentir. è Abus des femmes, abus du vin, abus du rhum, abus de la drogue orientale n, il n’en fallait pas tant à un tuberculeux pour mourir à trente-six ans. Mais son œuvre reste, etce beau livre que son existence tragique a dicté à André Salmon. PIERRES LEVÉES, suivi de MAISONS dans la lignée de Lucrèce. On ouvre ce recueil de poèmes avec curio-sité ; on le referme avec respect, sachant qu’on le reprendra. Sa substance est si riche qu’une seule lecture ne saurait l’épuiser. Jules Romains, grand romancier, dont la place est au premier rang de la littérature universelle, a su rester poète alors même qu’il consacrait toute sa puissance créatrice à l’immense entreprise des Hommes de bonne vo/on/é. Je me rappelle l’extraordinaire cha-pitre dans lequel il démonta le mécanisme poétique de Strigelius-Valéry. Il y a là un véritable chef-d’ceuvre de critique exhaus-tive. Car Jules Romains poète est aussi un théoricien de la poésie, et la métrique n’a pas plus de secrets pour lui que les lents cheminements de l’inspiration ou les ruses des faux inspirés. C’est ainsi qu’une note préliminaire à ses Pierres levées (Flammarion, éditeur) nous rappelle l’essentiel du Petit Traité di versification qu’il composa jadis avec le regretté Georges Chennevière. Bien entendu, Pierres levées relève de cet unanimisme dont Jules Romains fut le promoteur, et il faut dire tout de suite que cette œuvre constitue un sommet. Non seule-ment l’économie des moyens y est remar-quable, mais la rigueur de l’énoncé recouvre la hauteur de la pensée et le foisonnement de l’image. La date à laquelle il écrivit ce livre bref et dense (1943-1944) explique assez son substrat sensible. Un monde croulait, en proie à la folie de la guerre, et le poète avait quelques raisons de se poser des gîtes-UN DEBAT LITTÉRAIRE à huis clos. On fit alors remarquer à Pora-leur que Jean marque nettement sa réproba-tion aux auteurs de certaines indélicatesses. Y a-t-il en effet beaucoup de Parisiens qui refusent de serrer la main à eux tendue par un homme qu’ils n’estiment pas ? Jean le fait, un soir, dans une salle de théâtre. Et M. Jacques Duron de déclarer qu’en se dressant en face du scandale, de tous les scandales décrits dans le roman, le héros avait une attitude très suffisamment positive. L’essentiel de l’allocution de M. Gabriel Marcel — pour qui Jean est « un personnage vrai et émouvant , — fut le procès de l’actuelle nœrcantilisation de l’art et de la littérature, visée dans le livre; c’est, précisa-t-il, une mercantilisation spéculative t on spécule en effet de nos jours sur certaines valeurs — jadis purement spirituelles — dans un sens boursier. Et l’on assiste à un déclin général de la probité. Quelques pages du roman furent finement lues par Mme Hélène Perdrière et M. Jean Davy, sociétaires de la Comédie-Française. J. H. dons angoissées sur l’avenir de l’homme. Cette angoisse est figurée par deux couples de personnages symboliques par lesquels l’humanité cherche sa voie. Aucune auberge n’est bonne, Aucun chemin n’est eh Ste. Mais dormir est une aubaine ; N’être pas mort fait plaisir. Dans la seconde partie de l’ouvrage, intitulée Maisons, le ton s’élève encore. Je pèse mes mots en disant qu’elle fait penser à Lucrèce et à Dante. n Tour a rompusa mesure u et il se pourrait que Dieu Kit seul dans un univers dérisoire auquel il a cessé de prendre intérêt. Les scoliastes n’ont pas fini de se pencher sur cette œuvre grandiose, qui domine les balbutiements de certaine poésie d’aujourd’hui sans technique et sans nerf. L’OEUVRE POÉTIQUE DE VINCENT MUSELLI : une somme lyrique. Il était bon que fût réunie en un seul volume Fœuvre poétique de Vincent Muselli. Ainsi trouve-t-onici les Travaux et les Jeux, les Masques, les Sonnets à Philo,les Strophes de contre-fortune, les Sonnets moraux, les Sept Ballades de contradiction et /es Convive, N’eût-il écrit que ce dernier poème, d’une rare éléva-tion, que Vincent Muselli mériterait d’être tenu pour un des meilleurs poètes de son temp-. S’il sacrifia un peu trop, au début de sa carrière, à une certaine raideur malher-bienne, il ne cessa de resserrer sa manière pour aboutir, en r947, à un chef-d’œuvre incontestable. Cent trente-huit vers sans défaut, c’est un peu plus et un peu mieux que le sonnet d’Arve.. L’inspiration des Convives n’est pas seule-ment épicurienne. Le poète nous y convie à la connaissance parfaite. Il y avait atteint ce jour-là dans la maîtrise de son art. (Édi-tions Points et Contrepointsl. Y. G. De gauche à droite. MM. Alain Bosquet, Jean de I, Varende, Jacques Dmon et Gabriel Marcel causent du roman l’Homme qui dit non. 91