de monter le Périclès, prince de Ty r , de Shakespeare, si peu connu que les Français qui lisent seulement Périclès croient avoir affaire à l’illustre Athénien qui dissimulait sous un casque son crâne en forme d’oignon… On discute souvent que Périt-Pt-soit du Shakes-peare authemique. Le cloute ne m’effleure pas… Ce dévergondage d’imagination, cette poésie de l’absurde, cette audace solide me servent de preuves. Complot d’empoison-nement contre Périclès, naufrage où il perd sa femme, jetée en catalepsie dans la mer, par des matelots superstitieux ; perte de sa fille qu’il a confiée à des méchants, lesquels ont voulu la mer; mais elle est, à point, volée par des pirates qui la vendent à un couple d’ignobles marchands de vierges… A la fin, la famille se reconstitue la morte a ressuscité ; la prostituée est, comme dit Corneille, impifflue ; tout le monde est heureux ; et Périclès peut raser sa barbe, qu’il a gardée des années en témoignage de sa douleur… C’est joué avec entrain, avec goût ; et les décors mécanisés se forment vite et correctement. De ce qui n’eût pu être qu’unec curiosité c pour amateurs un peu savants, on a fait un divertissement pour tous. Shakespeare encore ; mais méconnaissable, à l’Athénée. M. Audiberti a refait La Mégère apprivoisée à sa mode. Comme l’auteur de Le Mal court a beaucoup de verve, un style capiteux autant que le vin nouveau dans la cuve, je m’en promettais du plaisir… Hélas I La gaîté directe, la bonne farce de Shakespeare qui fait songer à un fabliau ou à un sente de La Fontaine, cette seizième z joie du mariage est devenue étonnamment sé-rieuse… Il s’agit de découvrir les racines quasi mystiques du mariage ; d’épiloguer sur sa valeur, de disserter sur ses modalités… On écoute. On ne reconnaît plus l’original, n franc, si lestement enlevé… Encense qui voudra le sérieux, la psychologie de M. Audi-berti ; se perde qui voudra dans les méandres de ses dialogues, et l’accompagne au long de ses ambitieuses démonstrations… J’y ai souffert, je l’avoue. Un grand artiste Heureuse indication, car on ne voit pas bien quel système harmonique pourrait remplacer le dogme traditionnel. y a un demi-siècle, les dodécaphonistes affirmaient avoir trouvé un catéchisme de remplacement. Webern, Schoenberg, Alban Berg usèrent avec précau-tion et parcimonie de formules qui en leur temps choquaient les oreilles et les consciences musicales. Nous sommes indiscutablement aujourd’hui sensibles à leurs recherches. Le concert donné salle Pleyel par l’Orchestre du Sudwestfunk et dirigé par liant Rosbaud k prouve avec certitude. Seulement le dodé-caphonisme lui-même n’est-il pas déjà dé-passé ? On pourrait admettre que nul compo-siteur de génie ne s’est levé depuis quarante ans pour exploiter une technique d’écriture entièrement originale et sans racines dans le passé. Mais depuis ce mois de décembre l’argument n’a plus guère de valeur. Stra-vinsk y a du génie, Stravinsky ‘s’est fait dodécaphoniste, et Stravinsky a échoué. comme Pierre Brasseur mal à l’aise dans ces marivaudages inattendus, une comédienne adorable comme Suzanne Flon, bridée dans ses pétulances, n’ont pas réussi à animer cette autre A/drart qui a trop de globules blancs, et plus assez de rouges. On peut certes louer les décors de Léonor Fini, les costumes ; les lumières._ Mais je m’arrête là. Le Grand Cordeau, de Clifford Odets, adap-tation française de Jean Renoir, voulait être une sanglante satire du monde du cinéma, à Hollywood… Le fouet de la satire ; bravo. Mais il devrait faire clic clac… Cette fois, il n’avait pas de mèche… Ce pauvre Charles Castle, ce pouvait être un personnage… Né bon comédien, il a subi l’envoûtement du cinéma. Il en mesure la bassesse ; il est témoin des tripotages… Il veut s’évader, revenir au théâtre ; rapprendre des chefs-d’œuvre. Mais son retour à l’art est barré par de sinistres fripouilles qui ne lâchent pas leur prisonnier et le torturentsavamment. Il finit par s’ouvrir les veines dans son bain ; à l’antique. ,Qualis artifex pereo, pourrait-il dire, comme Néron… L’histoire reste floue ; lm caractères sympathiques sont cotonneux. Daniel Gélin fait mut ce qu’il peut ; il n’est pas convaincu ; Claude Génia reste fine et perspicace ; mais rien ne l’aide. Paul Bernard réussit une de ses prouesses. Il est glacial, cadavérique et monstrueux ; il fait bonne mesure. Paul Cambo a du cran. C’est le traître distingué du mélo. Rien à dire de Ne quitiq pas… aux Nouveau-tés. Une comédiequelconque, dont l’originalité consiste en un standard téléphonique récem-ment équipé, où Jacqueline Gauthier enfonce des fiches. Elle se mariera à la fin.,. Souhaits sincères de bonheur. Mais voilà, depuis bien des années, la première erreur des Nouveautés I Dans /a Mouche bleue, le spirituel Marcel Aymé a fait un faux lias. Cela arrive aux meilleurs, dont il est. Il se lance en guerre contre la mentalité américaine ; l’amour Son ballet Apon s’inspire de vieilles danses françaises de cour traitées à la sauce sérielle. Il y a déjà quelque chose de bâtard dans cette recette. On sait depuis longtemps que le Prince Igor se fait volontiers grinçant et sarcastique, on l’aime jusque dans ses audaces les plus gratuites : la curiosité fut jusqu’ici plus forte que le désir d’éprouver une émotion sincère, profonde. Avec Axait, lac uriosité elle-même n’est plus satisfaite. Bien sûr, il y a là une intéressante exploi-tation de la masse orchestrale découpée en menus rnorcemx. Mais est-il nécessaire de déranger quatre-vingt-cinq musiciens pour écrire une œuvre de musique de chambre La musique, qu’on leveuille ou non, est un art, et l’art ne naît pas dans des laboratoires mais dans l’intelligence et le coeur. Apon est un peu de poudre aux yeux — ou aux oreilles. L’aiguille des appareils de mesure électronique e scille peut être d’une façon agréable sous l’influence de cette musique, effréné du dollar ; la rage du c rendement a; la naïve superstition des c brain trusts• et, cette fois, d’un braim-man quisuccombe sous les responsabilités, dans les bras d’une affriolante secrétaire, elle lm lui tend, avec ses lèvres, et tout ce qu’il peut désirer. Un acte sur quatre est original. C’est un sketch. Pour une rencontre amoureuse, dans une chambre d’hôtel, on est — là-bas — tenu d’apporter des bagages ; au moins une valise ; le plus lourde possible respectability. Les valises du brain-man et de Barbara la mousseuse dactylo et du directeur de la Compagnie avec une employée aux sens incendiés, sont remplies de briques, avec lesquelles des maçons joueront à la balle. C’est le clou. Mais l’histoire du divorce, de l’essai de rédemption tenté par les deux amoureux qui se font garçon et fille d’hôtel et finissent par revenir aux dollars — 71 nue paran, 26 millions de francs — n’éveille qu’un anémique intérêt. Pierre Destailles et Louise Roblin se font, du moins, remarquer. La Comédie-Française a repris brillamment le Sexe faible, dont j’avais été ravi en 1929. Il est indiscutable que les personnages de la pièce de Bourdet ont disparu de Paris ou presque. C’était fatal. Ceux de Proust aussi sont entrés dans le passé. Mais la suite des sketches, on dirait même des gags, que l’auteur aligne dans un grand hôtel de la place Vendôme, dont le maître d’hôtel Antoine (historiquement Olivier) gouverne l’intrigue en i Scapin solennel et discret z, sont toujours divertissants… Dans le rôle de Victor Boucher, Charon est, comme toujours, spirituel et acéré. Mais pas assez c secret c ; il laisse lire dans son leu; et souligne ses ironies de grimaces inutiles. Mme Dorniat a débuté avec autorité dans la Maison ; elle y semblait chez elle ; déjà un peu solennisée et la bonhomie refroidie. Le triomphe fut pour Mme Sabomet et Mme Denise Germe, qui a égalé Moreno ; et c’est tout dire. Je outiens, contre les maugréants, que n’est un fort aimable spectacle. R. K. mais nos tympans n’ont pas encore la per-fection de la mécanique et ne perçoivent pas les beautés qu’on nous dit être évidentes à le suite de savants calculs. Comme il est décevant de ne pouvoir adorer Stravinsky dans tous les cheminements de sa pensée Un mot de Sir Thomas Beecham rc venu à Paris avec le Philharmonie Orchestra de Londres. Voilà un chef merveilleusement expressif. C’est dans ses yeux, dans les mouve-ments de ses bras que ses musiciens peuvent lire ce qu’ils ont à jouer. On ne peut servir avec plus de flamme, de fidélité et d’affection Tchatkovsky, Haendel ou Haydn. Et n’est-il pas particulièrement miraculeux de découvrir dans ces ouvrages si souvent rabâchés des détails d’orchestre, des valeurs harmoniques bien rarement exhumées de la poussière ? Que Sir Thomas Beecham revienne souvent à Paris. Il contribuera sans cesse à rajeunir un répertoire que d’aucuns considèrent comme les fleurs désormais fanées du passé. C. B. 89