RYTHMES DU MOIS THÉATRE PAR ROBERT KEMP de l’Araaérnie française IEN que TTlisraire de Vasto, sur laquelle ai dit mon sentiment en quelques B lignes, ait provoqué une scission entre les critiques et que les fureurs de ses partisans contre ceux qui le nient aient rempli une page entière, dans un jeurnal, je refuse de m y attarder davantage. Comme l’a écrit mon éminent confrère Gabriel Marcel, c’est un « ainape-nigauds n ; et il me déplaît d’être dupe. Se laissera piper qui voudra, par une fallacieuse poésie et un esprit de méchant aloi. Nous avons mieux que cela à nous « mettre sous la dent r. Nous avons cette merveille le Journal d’Anne Frank, dont le seul défaut est sur le programme où l’on ose imprimer de Anne Frank, sans souffrir de l’hiatus et des lois élémentaires de notre langue… Aucun autre repreaho ne me viendrait contre une pièce qui bouleverse le cceur, et qui est montée avec un art supérieur, un discernement et une émotion admirables… On pouvait douter que ce texte simple, ingénu, si peu chargé d’épisodes, subit victorieusement l’épreuve du théâtre. Mais nous n’avons pas cessé un instant d’être touchés, de bis-sonner de pitié, de tendresse ou d’horreur ! Vous savez qu’Anne Frank, morte dans un camp de concentration àseize ans, parce qu’elle était juive, a vécu avec sa famille et quelques amis, pendant deux ans passés, à Amsterdam, entre les planches d’une masure, au fond d’une cour. Là, il fallait voiler la lumière de quelques pauvres ampoules, craindre de faire le moindre bruit, fût-ce en faisant couler l’eau ; parler à voix feutrée ; et ne jamais sortir ; et trembler quand on entendait des pas qui approchaient ; se priver de manger, souvent, et de plus en plus… Là encore les souffrances communes et le choc des idées ou des sentiments aigris-LA MUSIQUE saiont les caractères. Un brave homme, torturé par la famine, finissait par voler des bribes de pain à ses compagnons ele misère. Mais on célébrait ensemble les fêtes religieuses ; on s’encourageait à la patience ; Anne écrivait son journal pour ne pas mourir d’ennui ; Anne devenait femme, toute petite femme, et éprouvait les premiers charmes de l’amour. Un jour, on frappa à la porte ; la Gestapo prit tout le monde. Le père d’Anne, seul survivant, a retrouvé dans les décombres de la baraque les cahiers de sa fille… Témoignage non suspect, d’une simplicité et d’une transparence exquises. C’est da ce texte, devenu livre, que Frances Croodlich et Albert Hackett ont fait une pièce ; c’est cette pièce qua notre Georges Neveux a adaptée en français, avec un tact et une sansibiliiié sans défaillance. Et c’est un chef-d’œuvre. On voit, on écoute, le cœur crispé. Anne domine. Vcir cette enfant aller et venir, souffrir sans Ss plaindre, se mettre au lit et s’apercevoir que son corps se transforrre; la regarder, quand elle a reçu de son cama-rade de captivité — dix-sept ans — un premier baiser, chaste et maladroit, et s’écarter ensuite de lui, le cou penché, rêveuse et fière… Assister à une fête reli-gieuse qui se confond, ici, avec la Saint-Nicolas et la Noël des chrétiens, où les prisonniers cherchent un peu de joie, d’illu-sion, d’espérance… Mesurer leur bonheur quand parvient la nouvelle du débarquement en Normandie — comment ne pas « commu-nier n avec la petite Anne et les autres, à chaque incident… Qui pourrait se défendre et garder les yeux secs ? Je ne l’ai pas lie, pour ma part, et j’avoue mes larmes. Glus nt coulent plus souvent au théâtre… Je bénis, pour de telles minutes, cette petite Pascale Audret, qui joue Anne, avec son petit visage d’enfant, et sa voix adorablement puérile ; qui nuance le rôle entier avec une sûreté inimaginable, sans le moindre soupçon de cabotinage ; qui est l’Anne rêvée, l’unique… Je bénis Marguerite Jamois qui fut sûrement la première émus par une œuvre digne de PAR CLAUDE BAIGNÈRES À illEum où le père Noét commence à circuler dans les songes des enfants, d’autres marchands de rêves se demandent s’ils ont fidèlement rempli une mission qui doit s’étendre sur les douze mois de l’année. Tous les musiciens s’interrogent sur le reten-tissement que peut avoir Rus message dans le coeur des mélomanes. Que les grands interprètes se rassurent. Menuhin, Wilhelm Kempff, Santiag, Nicole Henriot, Arthur Rubinstein, ce grand prêtre de l’idéal romantique, nous ont exactement offert ce que nous attendions d’eux, c’est-à-dire l’évasion vers les sereins horizons où règne Jean-Sébastien Bach, la découverte éternellement séduisante de cettinivers effervescent que hantent les ombres mélo-dieuses de Brahms, de Schumann, de Chopin. 88 Ainsi la tradition esTelle pieusement entre-tenue. Mais quels sont les signes apparus en i957 CC qui nous permettent d’ilnaginer l’orientation de la musieue de demain ? A regarder les programénes on pourrait hâtivement conclure que les compositeurs ont été bien discrets ou bien paresseux. Ce serait négliger le fait que d’innombrables partitions lyriques et symphoniques dorment dans des tiroirs. Les concerts du Conser-vatoire dirigés par Pierre Dervaux ont eu le mérite d’aller chercher une SiImphonic, d’André Jolivet, inconnue à Paris bien qu’elle ait déjà été acclamée de Bruxelles à Tokyo. André Jolivet fut en 1936, avec Olivier Messiaen, Daniel Les. et Yves Baudrier, le fondateur du « Groupe Jeune France r qui se proposait d’apporter une esthétique nouvelle dans l’art de son temps en ne limitant pas son activité à la transposition musicale des palpitations du cœur humain ou à la description, comme à la simple son intelligence et de son c, et l’a mise en scène avec une telle perfection qu’on croirait qu’elle l’a pensée ou vécue elle. thème. Etcheverry, d’une dignité, d’une majesté et d’irae bonhomie admirables, dans le rôle du père ; P. Flourens, le jeune Jacques Charrier, Mme Bernadette Lange, la mère — la seule à qui ne s’accorde pas le doux cccur d’Anne — et Gilberte Génial, et tous, ils ont vibré, juste ce qu’il fallait. Pas du théâtre la vie même… Une telle soirée est une chose belle, juste, tragique ; qu’on n’oublia pas. A thing of béat*, comme a dit Keats. Un ;ineffaçable souvenir. L’AulreAlexandre,de MIfic Libé raki au Thé âtre d’Aujourd’hui — Salle de l’Alliance française ne soulève pas le même enthousiasme._ 1,a « prétention r n’en est pas exclue. Un certain mérite nain plus. On installe sur la scène l’étrange progéniture d’un industriel de nationalité incertain, Il a eu, cet homme futile, juste autant da bâtards que d’enfants légitimes et, par paire, a distribué les mêmes prénoms. Un Alexandre naturel a son symé-trique l’Alexandre bâtard. Ainsi des autres. Il y a une belle-fille, Dorothée, obsédée d’érotisme, étendue sur son lit, et rêvant d’impuretés ; une fille Agi.> dont la tête vacille, et qui monologue, dans une sorte de transe… Le fils Grégori, impatient d’auto- rité et de richesse, veut arracher au père sa « part r d’héritier. 1, père a à vaincre (aussi) des rebelles d’ouvriers… On les contemple avec curiosité, ou avec gêne, sans participer à leurs émotions. Telle scène est bien venue (l’autocritique d’Aglaé, délicieusement dite par MIR Loleh &Iton); telle autre (le discours du père à ses grévistes) est d’une extrême pauvreté. C’est tourmenté, c’est louche, c’est embrumé. filais je ne me suis pas ennuyé. Et Pierre Asso, Yvonne Clech, José Quaglio — à côté de Loleh Bellon qui les surplombe — ont été de soigneux et intelligents comédiens. On s’amuse à l’Ambigu. Enfin ! Christian Casadesus a eu l’idée bizarre et heureuse évocation, d’un paysage, d’une atmosphère et d’un décor. André Jolivet, influencé par ses études philosophiques, a été attiré par les fantastiques visions du cosmos. Les thèmes de sa symphonie semblent graviter me les étoiles dans l’infini de l’espace mn rythme puissant, immuable, implacable ; un jeu de nuances qui introduit une impression savamment calculée de relief ; une orches-tration aux étranges couleurs où les trom-pettes éclatent comme les flashes de magné-sium. Cette musique donne une impression entièrement inédite, et c’est pourquoi il est particulièrement intéressant de se pencher sur le manuscrit. Pas une mesure n’échappe à l’analyse classique. André Jolivet ne viole jamais les principes du vénérable traité d’harmonie de Reiber et Dubois. N’est-il pas particulièrement réconfortant de cons-tater que la vieille gamme inventée autour de l’an mille par Gui d’Arezzo n’a pas encore livré tous ses sortilèges ?