ALCACER. Si nous n’étions cloués ici, j’aborderais cette blonde ou je suivrais cette maigrichonne… DON JUAN. On ne suit pas une femme : elle vous prend pour son toutou, ou se met à avoir peur ; on l’aborde face à face. Quant à la blonde, elle se hâte, et on n’aborde pas une femme qui se hâte : elle a un but immédiat, et ne s’arrêtera pas. ALCACER. Celle-ci du moins va nous passer sous le nez. (De très près, à la femme qui passe.) Madame, il me semble que je vous… (La passante a un haut-le-corps et presse le pas.) DON JUAN. On n’aborde pas une femme de trop près : cela l’effraye. D’où sors-tu aujourd’hui ? Il faut tout t’apprendre. DON BASILE, repassant, avec les dames. Don Juan prétend avoir eu des milliers de femmes. Voyez-vous cela ! Mettons qu’il en ait eu tout au plut une cinquantaine. C’est un rêveur, un cérébral. Je l’ai souvent aperçu sur cette place, caché derrière un pilier. Il regardait, mais il n’intervenait pas. Il avait l’air d’un collégien qui n’ose pas se jeter à l’eau. (Les dames rient.) DON JUAN. Parbleu J’attendais quelqu’un, comme aujourd’hui. DON BASILE. Et il ne se retournait même pas sur les femmes, ni ne les dévisageait ! DON JUAN. Les hommes qui dévisagent les femmes sont presque toujours des insi-gnifiants ou des laids. Aux repus les regards distants et désabusés. (Un barbu, au pif énorme, s’approche de Don Juan et d’ Alcacer.) ALCACER. Y a papa ! Distinguez-vous entre elle et lui une ressemblance ? DON JUAN. Pas dans le nez. Mais, dans le bourrelet de l’oreille, il y a quelque chose. Tenons-nous cois. (Le barbu s’éloigne.) ALCACER. Vous lui avez demandé quel était le métier de papa ? DON JUAN. Je ne te l’ai pas dit ? Inspecteur de police. Elle m’avait dit qu’il était bonnetier en gros. Mais je la rencontrai avec M. l’Inspecteur. Comme ils ne s’adressaient pas la parole, j’ai bien vu que c’était le père et la fille. ALCACER. Avec tout cela, je ne vous ai pas annoncé encore que j’ai pris pour vous un rendez-vous avec une jeunesse rencontrée ce midi. C’est la fille du patron de la Taverne de l’Éléphant. Vingt-deux ans et trois mois. DON JUAN. Elle est bien ? ALCACER. Quand elle se penche et que ses cheveux en retombant cachent sa figure, elle n’est pas mal. DON JUAN. Tu me fais bondir l’imagination. 64