ELLE s’appelait M. de Schurmann. Ne la cherchez pas au premier rang des meetings vous la trouverez, comme sur une toile hollandaise, dans la demi-lumière d’une accueillante cuisine d’Utrecht, tout ordre et netteté, où elle tenait bureau d’esprit, vers le milieu du XVII. siècle. Autant que M. de Gournay, avec qui elle était liée d’amitié, cette savante personne — elle savait le grec, le latin, l’hébreu et méme l’éthiopien — se disait fille spirituelle de Montaigne. Qu’aurait pensé celui-ci des aspi-rations de ses deux héritières? La Française ne demandait pas moins pour les femmes que l’accès au sacerdoce. La Hollandaise écrivit un essai retentissant sur l’égalité des sexes. Comme les amazones se saluent volontiers entre elles, ce plaidoyer, dédié à la régente des lys, Anne d’Autriche, valut son auteur la visite d’une autre reine, la masculine Christine de Suède. Faut-il voir en M. de Schurmann la première militante du féminisme? En cherchant bien, on trou-verait sûrement des écrits antérieurs qui revendiquaient la méme égalité. Quai qu’il en soit, cette ancêtre tressaillirait d’aise si elle pouvait voir les hommes faire le ménage et laver les enfants pendant que les mères gagnent les courses automobiles ou s’alignent sous le casque du coiffeur. Il est vrai que la dispute de la culotte n’en est plus une, depuis que le port du pantalon est devenu commun aux deux sexes. Un observateur des moeurs aussi avisé que M. Pierre Gaxotte considère méme la femme comme le véritable dictateur du monde moderne. Il nous fait remarquer que la plupart des industries travaillent pour elle et vivent d’elle, sa puissance d’achat, dans la vie courante, étant supérieure à celle de l’homme. Suivent, plus éloquents que tout commentaire, les chiffres des statistiques. En France, il y a un peu plus de cinquante-deux femmes (admettez les fractions) pour cinquante hommes. Si la durée moyenne de la vie virile est de soixante-trois ans et demi, les femmes vivent six ans de plus. Plus du tiers des travailleurs (6.680.000 sur 19.220.000) appartient à l’autre sexe, et l’on note que le travail des ouvrières s’est déplacé de l’usine au bureau et à l’enseignement. Dans l’ensei-gnement supérieur, en moins de trente ans, les effectifs féminins sont passés de 24 à 296. Face à 15.650 professeurs, 13.850 agré-gées enseignent dans nos lycées et collèges. Ce point est très important pour la formation de l’avenir. Les classes dirigées par les femmes seront-elles mieux préparées à la vie, plus tolérantes ou plus sectaires, réa-listes ou chimériques? Seront-elles pour ou contre le divorce, pour ou contre le contrôle des naissances, pour ou contre le marché commun, pour ou contre la bombe atomique? Graves questions, auxquelles est suspendu notre sort. Relevons aussi la proportion du sexe parmi les étudiants. Les lettres viennent en tète (97,3%), ce qui ne surprendra per-sonne. Vient ensuite la Pharmacie (53,4%), le serpent d’Esculape attirant les petites-tilles d’Eve. Les Sciences (26,2% précédent le Droit (24,6 et la Médecine (21,9%. Une autre statistique est digne d’attention : le budget familial géré par les femmes atteint, dans les milieux ouvriers, la proportion de 77%. Voilà où nous en sommes, sous l’ana-chronique enseigne d’une mégère qui veut porter culotte, et sous la gravure, toujours actuelle, d’un galant éperonné par Vénus.