LOUISE WEISS GRÈCE Ces fileuses de Delphes sont entrées dans la vie moderne avecleurs gestes antiques e leur mépris du temps. Elles n’ont renoncé qu’eu costume traditionnel. L’aspect change, mais l’àme reste. Peuton en dire autant des« stariets n d’avtOurd•hul Mes contemporaines sur les cinq continents n Il III. L FEMME TOUT ch DI DIAS, 1101011s I i. dII SI I:1 . PIDoVEIIBE KABYLE) APRENDRE la plume, en cette fin d’année, pour esquisser un tableau de la condition actuelle des femmes à travers le monde, j’hésite entre les souvenirs et les statistiques, entre l’humour et la philosophie. Ce tableau n’est pas simple. A le résumer, il est dominé par le fait que le monde contemporain, d’une passionnante diversité, mais d’une diversité qui tend à disparaître, offre encore à l’étude du sociologue des moeurs allant des plus primitives — de l’âge du silex taillé — aux plus évoluées — de l’âge atomique. Que des Négresses à plateaux ou des Tibétaines polyandres vivent, en ce monde, dans le même temps que Clara Luce, qui fut ambassadrice des États-Unis à Rome, ou Françoise Sagan, n’est-ce point là un étrange phénomène de coexistence ? Quant au bonheur intime de ces dames, il n’a rien de commun avec leur condition politique. Inutile d’insister. C’est l’évidence. Le bonheur personnel réside en l’adaptation au milieu social. Dans la mesure où cette adaptation manque, apparaît le sentiment du malheur. De ce malheur naît parfois la révolte. Et de cette révolte, le progrès. Jamais Clara ou Françoise ne penseraient à se dépouiller de leur condition de femmes ultra-modernes pour régresser jusqu’à la case tribale d’une Bambara astreinte à piler le mil ou jusqu’à la tente d’une Indienne Déné du Canada subarctiquesoucieuse de préparer le pemmican d’hiver. Mais le contraire n’est pas vrai. J’ai assisté à des bonds féminins stupéfiants par-dessus les hautes barrières des siècles. Ici, je fais appel à mes souvenirs. Un jour, je me trouvais aux Iles Prybilof, archipel perdu dans les eaux troubles de la Mer de Béring, repaire d’été de presque tous les phoques à fourrures du Pacifique Nord. Absolument rases, ces îles, balayées par les vents furieux du Pôle, étaient habitées par quelques familles métisses d’Esquimaux et d’Aléoutiens spécialisés dans l’abattage et l’écorchage des phoques. C’étaient des gens pauvres et sauvages, aux faces plates couleur de cuivre. Pendant la guerre, ils avaient été évacués par les autorités militaires américaines sur les côtes de Colombie Britannique, quelque part autour de Vancouver. Ils n’avaient jamais vu d’arbres. Les profondes forêts de Colombie les épouvantèrent. Et ils firent de telles crises de claustrophobie que force fut de les ramener dans leurs îles natales. Mais les femmes emportèrent du vernis à ongles et des machines à coudre qui me clouèrent de surprise devant leurs cabanes. Autre observation du même ordre. Cette fois, je me trouvais au Mexique central, à l’extrême avancée de la route panaméricaine qui, à cette époque, ne traversait pas encore le pays de part en part. La piste préparatoire avait atteint un village dont les femmes portaient les lourdes jupes brodées, les boléros et les fichus du temps de la conquête espagnole. Je m’enfonçai dans la jungle et revint en ce village deux ou trois semaines plus tard. Les femmes en étaient méconnaissables. Ridicules et méconnais-sables ! Avec autant de conviction que de maladresse, elles portaient des shorts et des lunettes noires. Les commis-voyageurs de Manhattan n’avaient pas été longs à les convaincre d’abandonner leurs vêtements ancestraux pour la tenue internationale