5 La Reine duNouveau Monde C’est à Grenade qu’il faut évoquer Isabelle la Catho-lique, et de préférence à l’entrée de l’Alhambra, devant la porte de la Justice où est sculptée, à la clé de voûte de l’arc outrepassé, une main ouverte, symbole islamique. Nous arrivons de France, nous avons traversé la vieille Castille, sèche, dure et pure ; nous avons frôlé, avant d’aborder les pentes de la sierra de Guadarrama, Madri-gal de las Atlas Torres, lieu contesté de la naissance de notre héroïne ; plus loin, nous avons aperçu les docile. et le château d’Arevalo où commettre la vie consciente d’Isabelle, de la petite Princesse orpheline, pauvre, à la destinée incertaine, qui vit à l’écart, qui s’enivre, dans ce pays et cette demeure austères, de romances épiques, de la légende du Cid et de la Reconquête. Non loin du point où culmine la route du Sud, stouts avons salué Avila, étroitement close dans ses remparts, au milieu des éten-dues pierreuses ; là, sainte Thérèse, mystique et organi-satrice, répond à la Reine Isabelle, politique et mystique. Les deux femmes, sans doute, les plus typiquement, les plus absolument espagnoles de la Péninsule, si puissam-ment volontaires, si profondément et même si fanati-quement religieuses, si chimériques à la fois et réalistes, si souverainement travaillées par le démon de l’unité. unité de la patrie, unité de la foi. Tout à Grenade noté parle d’Isabelle, épouse de Fernand. Et d’abord ct•tu• antique et précieuse civilisation arabe qu’elle a frappée clans son dernier retranchement européen, qu’elle a reje-tée définitivement en Afrique. Elle achève, sur les bords MI Genil, au pied de la Sierra Nevada, Pcestvre de refou-lement commencée par Charles Martel à Poitiers, pour-suivie par Rodrigue de Vivar et tous les combattants de la libération que, par la vertu des poètes, il incarne en sa seule et haute figure. Lorsque, après tant de saisons de préparation persévé-rante, de lutte opiniâtre et sanglante, proche l’ermitage de Saint-Sébastien, Boabdil le Maure livre les clés de Grenade à Fernand et à Isabelle, l’Europe a trouvé sa forme, sa grandeur et cette primauté que les siècles, jusqu’à nos jours, n’ont plus discutée, qu’aucune menace n’a plus entamée et que nous voyons, après un délai plusieurs fois séculaire, remise en question. 34 PAR ALEXANDRE ARNOUX de l’Académie Goncourt