LIVRES PAR 7′ l’ES C êl X 1)0 CUIR DE RUSSIE voyage burlesque en U. R. S. S. Ce n’est pas ici 00 roman,mais un récit, et proprement la relation humoristique d’un voyage organisé auquel participa Jacques Lanzmann. Le programme des réjouissances comprenait une escale à Delphes, ou plutôt Itea, et deux autres à Istanbul et Varna, mais le morceau de résistance était la croi-sière en Mer Noire, la révélation du monde soviétique à Odessa, Yalta et Soucoumi. Les soixante et quelques premières pages, jusqu’à l’arrivée en Grèce, ne présentent qu’un intérêt limité. L’auteur se bat les flancs pour faire rire le lecteur aux dépens des passagers du navire baptisé le Papa-dopoulos, et de vagues flirts entre deux passa-gères et lui-mème. Il ne recule jamais devant des grossièretés parfaitement inutiles, sa langue est fertile en incorrections gramma-ticales et autres. S’il n’emploie pas le jargon syncopé de L.-F. Céline, il apparaît néan-moins comme son lointain disciple. Le livre change de ton lorsque, après de rapides, burlesques ou très pimentées consi-dérations sur l’indigence bulgare ou la galanterie turque, Jacques Lanzmann entre-prend den arrer son expérience soviétique. Il n’a vécu que huit jours dans des eaux russes, soit à peu près quatre jours à terre, mais en admettant mème qu’il ait un peu forcé le tableau, on doit bien reconnaître qu’il n’a pas perdu son temps. Encore qu’il proclame sa sympathie originelle pour le communisme, il ne cache point combien il a été frappé par le déplorable niveau de vie du peuple soviétique. Le chapitre consacré aux Arméniens de Soucoumi, volontairement revenus en U. R. S. S. après des années passées en France, est à cet égard très instructif. Les plaisanteries abondamment semées dans le récit, et entre autres l’ébou-riffante „idylle 7 entre le narrateur et la volcanique Tatiana, ne retirent rien à la leçon qui se dégage de l’ensemble. Cuir de Russie (René Pillard, édit.), dans sa bouffonnerie appuyée, débride les plaies et frappe au bon endroit mieux que le plus terrible des pamphlets. LA MISSION au temps du désastre Ferreira de Castro, qui est le plus grand romancier portugais vivant, a toujours manifesté à la France une véritable amitié. S’il a parcouru le monde entier, comme en témoignent d’admirables livres tels que Forêt vierge et Emigrants, pour ne parler que de ceux qui, entre autres, ont été traduits dans notre langue, il a fait à Pans de longs séjours, et il n’est pas jusqu’à la province française qui ne lui soit familière. Or, c’est quelque part entre Tours et Bordeaux que se situe l’action rapide et pathétique de /a Mission (Grasset, édit.), et des prêtres missionnaires groupés en communauté en sont les héros. Nous sommes en I 94o. Les Allemands ont percé le front et s’avancent à travers le pays. Un minnaire, le Père Mounier, vient trouver sonssioSupérieur pour lui demander de ne pas peindre sue le toit de leur maison le mot Missions qui, le cas échéant, la préserverait d’un bombar-dement. Pourquoi ? Parce que, non loin de la mission, qui comprend onze prêtres en tout et pour mut, se trouve une usine de quatre cents ouvriers dont les bâtiments sont semblables. Désigner la maison de Dieu aux aviateurs n’équivaudrait-il pas à offrir l’usine à leurs coups ? Un débat s’institue entre les missionnaires. Le respon-sable en réfère à son supérieur national qui ordonne de peindre l’inscription ; mais le trouble est entré dans son cceur ; il ne se décide pas, et un esprit de discorde règne dans la commun.té. Un missionnaire demande à rejoindre sa mère malade dans les Pyrénées ; un autre annonce sa résolution de rentrer dans le siècle. L’esprit chrétien semble bien compromis chez les ministres de Dieu. Le dénouement est d’une amertume saisis-sante. Les troupes allemandes sont arrivées si vite qu’iln’a pas été utile de suivre les instructions du Supérieur national. Mais un officier nazi se présente, réquisitionne les cellules inoccupées et fait peindre sur le toit le mot fatidique pour éviter un bombar dement anglais. Par la rigueur du récit, la sobriété du ton, ce roman que Ferreira de Castro avoulu situer chez nous, en hommage à un pays qu’il aime, est rom à Dit digne de ses grandes œuvres. LE RÊVE DANS LE PAVILLON ROUGE un chef-d’ceuvre du roman chinois Répandu dans le public pékinois environ I76o, et très vite considéré comme le cheof-d’ffiuvre du roman chinois, le Rêve dans /e pavillon rouge ne suscita, pendant plus d’un siècle et demi, aucune recherche sur son auteur. C’est en 16z1 seulement que le professeur Hon-Che put établir que celui-ci était Tsao-Siue-K’in, surnommé Kin-Pou. Ce trop modeste écrivain ne se soucia donc aucunement de la gloire, et on le comprend un peu lorsqu’on sait que son livre était en grande partie autobiographique. Le céré-monial auquel étaient soumis les Chinois de noble extraction sous le règne de l’empereur K’ien Long suffisait à occuper son homme. Les mandarins vivaient au milieu d’une cour de familiers, d’épouses légitimes et de concu-bines dont le Rêve dans le pavillon rouge nous trace un tableau animé de couleurs ravis-santes. La poésie éclatait dans tous les actes de la vie, dont elle était aussi inséparable que le parftun de la fleur. Il ne saurait être question de résumer cette intrigue, ou plutôt cette série d’intrigues qui se chevauchent et missent l’une de l’autre. D cent trente-cinq personnages ;masculins et deux cent terme personnages féminins ses uccèdent sur la scène, et le miracle est qu’on ne les confonde pas, ou plutôt que le lecteur découragé n’abandonne pas la partie. Tous les raffinements de l’esprit, toutes les délicatesses du sentiment font de Pieuvre de Tsào-Sitie-ld’in un livre qui 11, ressemble à aucun autre, où l’on entre comme dans un rêve impossible et dont on n se détache qu’a regret (Guy Le Prat, édit.).e LA FEMME EN CHINE ou la Chinoise nouvelle Mme Elisabeth Grisas, qui a fait un long séjour en Chine populaire, nous livre aujour-d’hui son témoignage sur ses soeurs d’Ex-trême-Orient, telles que les a faites ou tente de les faire le régime de Mao-Tsé-Toung. ffile ne nous cache pas ses opinions s pro-gressistes 7 et est naturellement portée à enjoliver le tableau. Tout au plus veut-elle bien admettre que la révolution de Sun-Vat-Sen, qui renversa le dernier empereur mandchou, avait amorcé l’émancipation de la femme chinoise. Celle-ci est maintenant, dans le travail comme dans sa rémunération, l’égale de l’homme. Elle vote, elle a le droit de réclamer le divorce. La société dépeinte par le Rêve dans le pavillon rouge a vécu. Non seulement l’exquise politesse chinoise d’autrefois est désormais considérée comme vaine et conventionnelle, mais l’excès d’urba-nité marquerait la persistance d’un esprit négatif 7. Soit I Où il est permis de ne pas suivre M.. Eli-sabeth Grisas, même sans avoir fait le voyage de Pékin, c’est lorsqu’elle assure que, dans la littérature chinoise classique, l’idéal de la beauté restait vague. Trop de chefs-d’oeuvre, commencer par le Rêve dans le pavillon rouge, s’inscrivent contre cette allégation. On a aussi le droit de penser que certaines pages de la Femme en Chine ne s’élèvent guère au-dessus d’une assezïve imagerie de propagande. La Chine étaitnadans le chaos, et, avec ses méthodes particulières, le nouveau régime s’efforce de remettre de l’ordre dans la maison. Que le nivellement des conditions rende la femme du peuple plus heureuse, Mme Grisar en parait convaincue, et nous voulons bien la croire. Son reportage, d’une qualité assez médiocre en dépit de ses bonnes intentions, est, en tout cas, à verser au dossier de la Chine nouvelle (Corrèa, édit.). LE PAUVRE CŒUR DES HOMMES psychologie japonaise Natsume Soséki, nom dit le préfacier Taxi-kawa Tetsukô, est le romancier le plus aimé au Japon. Mort en 1616 à quarante-neuf ans, il a laissé divers romans, dont Kokva, en français le Pans, Creus des hommes, est considéré comme le meilleur. Nourri de l’enseignement zenniste, Soseki est imbu de préoccupations morales qui ont passé dans son Œuvre. Un homme se suicide parce que, méprisant ses contemporains, il s’est persuadé qu’il ne valait pas mieux qu’eux. 7 La seule chose profonde que j’aie sentie en ce Inonde, c’est le péché qui est sur l’homme 7, déclare le héros du livre. Ce roman, qui dédaigne les apprêts et les ruses narratives de l’Occident, mérite non seulement d’être lu, mais longuement médité. Toute la sensibilité secrète d’une race bien éloignée de la nôtre y apparaît dans une lumière à la fois déchirante et glacée (Galli-mard, édit.).