le Mazarin en vers burlesques. Ces livrets cou-raient les rues. Sous plusieurs titres alléchants : La custode de la Reine qui dit tout, Le silence au bout du doigt, Le rideau du lit de la Reine, tout le passé d’Anne d’Autriche était sali. On réveillait les morts Montmorency, Buckingham, qui l’avaient aimée. Richelieu lui-même, s’il est vrai qu’il ait soupiré pour elle, voyait ses voeux couronnés et devenait le véritable père de Louis XIV Son père, le roi des Frangais, Tous les jours .faisait des souhaits Pour que la reine Mt enceinte. Il priait les saints et les saintes. Le cardinal priait aussi : Il a beaucoup mieux réussi. Quant au second cardinal, à Son Eminence deuxième, comme on l’appelait, on dénonçait le mariage secret qui l’unissait à la régente. Sous ce matelas florissant, le pauvre peuple rendait l’âme. Dans Les vertus de Sa l’aquinance, entre les fourberies et les exactions, la valeur amoureuse n’était pas oubliée. « Les Français, répétait Mazarin, sont d’aimables gens. Je les laisse chanter et écrire ; ils me laissent faire ce que je veux. » Moins indif-férente, la reine ordonna la saisie de ces rapsodies ordurières. Mais lui, devant l’énorme bibliothèque, resta rêveur. L’homme avare flattait de la main ces monuments d’insultes comme il caressait l’or et les diamants. Il dit à son valet de chambre : « La Volière, je vous charge de vendre tout cela à la nuit tombée. Vous m’en rapporterez dix mille écus et garderez l’excédent. » Le même homme, à la même époque, par la négociation du traité de Westphalie, faisait sanctionner les principaux résultats militaires des campagnes de Turenne et de Condé, ruinait l’Allemagne et donnait l’Alsace à la France. Après Mazarin, le Régent peut se vanter d’avoir fait imprimer dans l’ombre le plus d’infamies. Il inspira aussi une manière de chef-d’oeuvre. Vous connaissez les faiblesses du Régent, son cynisme, ou plutôt son indulgence. Les pires couplets lancés contre lui le faisaient éclater de rire il en réclamait la lecture à ses familiers, au cours des soupers galants du Palais-Royal. Un jour, l’aveugle qui mendiait sous le porche de l’église Saint-Roch reçut d’une personne charitable une liasse de papiers, comme autant d’exercices spirituels qu’il pouvait vendre à son profit. Ainsi furent dis-tribuées Les Philippiques dans Paris. On peut sourire de la virulence de ces odes et les trouver ampoulées ; elles offrent encore des strophes résistantes et des détails qui brûlent le papier Dans ces saturnales augustes, Mettez au rang de vos égaux Et vos gardes les plus robustes bt vos esclaves les plus beaux… Philippe d’Orléans, en parcourant ces vers, déclara que c’était de bonne poésie. Accusé d’inceste, il haussa les épaules, ayant déjà lu sur les murs du Palais-Royal « Ici se font les meilleures lotheries.» Tout à coup il blêmit et les larmes lui vinrent aux yeux. On lui attribuait la disparition successive des héritiers de Louis XIV. « C’en est trop, dit-il, cette horreur est plus forte que moi. » Un médiocre poète inspiré par la haine, Lagrange-Chancel, avait tiré le Régent de son indifférence. Il fut arrêté et enfermé dans l’île Sainte-Marguerite, d’où il s’évada. « Croyez-vous ce que vous avez dit de moi ? » lui demanda le prince. « Oui », répondit le « Tant mieux pour vous, car, autrement, je vous aurais fait pendre. » Si le xvine siècle passe pour avoir produit les plus fins esprits, la qualité de ses libelles n’en témoigne guère. Nous avons peine à imaginer, quand nous lisons Fréron, La Beaumelle, Linguet, que leurs écrits aient pu émouvoir ce qu’il y avait de plus puissant ou de plus spirituel à Paris. Même un Voltaire n’avait pas le dernier mot avec Jean Fréron. Qu’on en juge par l’anecdote sui-vante. Après une « tablette » dirigée contre Voltaire, celui-ci court chez Fréron, ne l’y trouve pas et ne peut s’empêcher d’écrire un vilain mot sur cette porte close. L’autre, dès le lendemain, revêt son plus bel habit et se fait très cérémonieu-sement annoncer chez son adversaire. « Monsieur, lui dit-il, j’ai lu votre nom inscrit sur ma porte, et je viens vous rendre la visite que vous avez eu la bonté de me faire. » Voltaire répondit par une 25