EN MARGE DES LETTRES, UN REVENANT La tentative d’un éditeur a ressuscité un genre condamnable et condamné. Mais les libelles d’aujourd’hui ressemblent-ils aux libelles d’autrefois? Examinons-les à la lumière de la petite histoire. ENTRE le libelle et le pamphlet, le langage fait une différence que la polémique ne respecte guère. Pour abattre un homme public tous les moyens étant bons, le pamphlet s’empare souvent de la matière du libelle, c’est-à-dire que les atteintes à l’individu s’ajoutent à la critique des institutions et du gouvernement. Par définition, le libelle attaque les personnes dans leur vie privée. C’est à ce titre qu’il fut et qu’il sera toujours puni. La peine capitale, que la loi des Douze-Tables infligeait aux Romains en peu de cas, frappait impitoyablement ceux qui composaient des vers injurieux. Car le libelle et la métrique — ne parlons pas de poésie — ont de tout temps fait alliance, rien n’étant plus propre à flétrir une mémoire que la forme du vers. Le libelle primitif était versifié. Tibère avait des raisons personnelles pour redou-bler de sévérité à l’endroit des satiriques : il renouvela contre eux la loi sur les crimes de lèse-majesté. Même rigueur sous Néron, sous Cons-tantin, sous Théodose. On alla jusqu’à prononcer des peines contre leurs lecteurs, cependant que la mort guettait ceux qui les récitaient en public. Il n’est pas étonnant, la France tenant ses lois de Rome, qu’une sévérité analogue se manifeste dans un édit donné à Saint-Germain-en-Laye en 1561 : Voulons que tous imprimeurs, semeurs et vendeurs de placards et libelles diffamatoires soient punis pour la première fois du fouet et, 2-1 pour la seconde fois, de la vie. » Cinq ans plus tard, l’ordonnance de Moulins confirmait défini-tivement cette sentence. Malgré les châtiments, l’ancien régime fut cons-tamment lacéré par les plumes anonymes, et c’est d’un libelle — n’oublions pas l’abbé Sieyès qu’est sortie la Révolution Qu’est-ce que le tiers état? Tout. Ou’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Oue demande-t-il? Devenir quelque chose. Royal, impérial, ecclésiastique ou militaire, le despotisme a toujours été brocardé sous le manteau, et Benjamin Constant avait raison de dire : « C’est l’esclavage de la presse qui produit les libelles et qui assure leur succès. » La liberté de la presse a supprimé les brochures noires. L’homme le plus attaqué du royaume fut à coup sûr le cardinal Mazarin, sous la régence d’Anne d’Autriche. Le siècle était aux idées de réforme. Une grande révolution s’était accomplie à Naples ; une autre commençait en Angleterre. La veuve de Louis XIII, acclamée à son avènement, n’était plus que dame Anne, détestée, outragée, traînée dans le ruisseau. Dès la tombée du soir, sans peur du guet, les « frondeurs » chantaient à tue-tête. A la Croix du Trahoir, dans la fumée des quin-quets, on laissait un cul-de-jatte sur la table, Scarron, qui n’avait pas son pareil pour exécuter