limiter et où le ciel, éternellement modifié par les jeux des nuages et du soleil, module impercepti-blement comme le « Lever du jour » de « Daphnis », brutalement comme le « Boléro ». Ensuite cet amour du travail minutieux et patient qui met à sa place chaque bibelot comme chaque note en vue d’obtenir un effet sûr. Enfin, et c’est peut-être le plus important, cette passion de la féerie ; dans chaque pièce on peut en estimer les multiples effusions. Car le monde de Maurice Ravel fut celui des fées et des miracles ; on a souvent épilogué sur l’intérêt qu’il portait aux jouets mécaniques délicatement ciselés. Sur le piano silencieux depuis vingt ans, cent figurines de bois, de porcelaine, de verre, ont interrompu leurs danses précieuses et saccadées. Nulle tempête ne secoue désormais les navires de cristal sous le globe transparent ; cette longue danseuse filiforme fut Laideronnette, impératrice des pagodes, et voici justement sa demeure de porcelaine blanche ; cet imperceptible oiseau prisonnier d’une cage dorée chantait jadis comme celui qui roucoulera éternellement, perché sur les portées du papier rayé de « l’Enfant et les sortilèges » ; surveillant le rossignol, voici brodée sur un coussin l’effigie du chat dont les yeux verts brillent derrière les barres de mesure de ce ballet écrit en collaboration avec Colette. Tous les personnages des féeries chorégraphiques sont là et l’on s’aperçoit que Ravel les aimait non pour les ressorts et les roues dentées qui les animaient mais parce qu’ils représentaient pour lui l’illusion de la vie. Et c’est dans cette illusion, beaucoup plus que dans la réalité, qu’il avait le privilège d’entrevoir les fées gardiennes de son inspiration. Mais la féerie connaît bien des avatars. Ces lampes, cet encrier, cette écritoire de style gothique et baroque ont présidé par exemple à la naissance de « Gaspard de la nuit » ; les poèmes d’Aloysius Bertrand n’étaient-ils pas taillés dans le même cuivre noirci aux reflets rougeâtres ? Elle gît aussi dans les rideaux, aux plis soigneusement mesurés, du lit à baldaquin autour duquel Maurice Ravel a, lui-même, peint en trompe-l’oeil sur les murs des colonnes doriques. La Grèce raffinée de Longus, l’élégance classique des « Valses nobles et sentimentales » se donnent ici rendez-vous, transformées par le prisme du génie, à la fois idéalisées et doucement moquées. Il ne faut pas voir dans tout cela une puérile affection pour le faux, le paradoxe, le colifichet qui veut donner l’impression du vrai, de l’authentique. Il suffit d’écouter trois mesures de Ravel pour redresser cette erreur. Mais dans sa musique on retrouve, comme observés à travers la loupe de la tendresse et de l’humour, certains traits de l’esprit antique et classique. Poursuivons notre enquête : Ravel aimait particulièrement cette «estampe japonaise » où l’on voit George Sand converser avec Musset et ce Modigliani outrageu-sement faux en dépit de sa signature. Il les aimait parce que l’une et l’autre mentaient avec une exagération si manifeste que la vérité ne courait aucun péril. Ainsi, partout, suivant l’ombre de Maurice Ravel à travers cette maison dont il voulut chaque détail décoratif, nous découvrons sa volonté systématique de changer les proportions, les valeurs de toutes choses, pour se créer un univers où la poésie délicate mais rigoureuse ait enfin sa place ; sur une étagère, il a disposé des objets rapportés du Maroc ou venus d’Extrême-Orient, pacotille scintillante ; 20