ÉDITORIAL L’HEURE EST VENUE… J’AI écrit ici — c’était en mars dernier — que l’homme de science contemporain avait commencé de n’être !dus tout à fait unhomme, homme, et qu’en maniant des forces capables d’accomplir des prodiges il copiait Dieu. Il s’agissait alors d’énergie atomique. L’événement étonnant qui s’est produit le 4 octobre — le lancement par des savants russes d’un satellite de la terre — trans-formeune boutade en réalité car Dieu seul jusqu’à présent avait créé des planètes. Ce n’est plus seulement des créatures que l’homme imite — les oiseaux avec les avions, avec les sous-marins, les poissons — c’est le Créateur lui-même qu’il plagie. Sentons-nous tous que nous vivons à une époque extra-ordinaire où la science accélère vertigineusement sa progression, où elle découvre plus de choses en un an que jadis en un siècle, en une semaine que naguère en un an ? Et que la naissance de ce premier satellite — modes-tement appelé laboratoire cosmique — est et restera une date dans l’histoire de l’humanité ? On ne peut qu’applau-dir ceux qui ont réussi cette aventure et qu’être fier d’appartenir à la génération qui y a assisté. Mais comment ne pas être stupéfait de deux choses ? Qu’en face — ou plus exactement au-dessous — de ce franchissement de milliers de kilomètres, de cette magis-trale extrapolation du terrestreà l’astral, de cette prochaine intercommunication de planète à planète, subsiste ici-bas un morcellement qui semble misérablement désuet. Sur l’infime radeau où se coudoient les peuples — car infime, grâce aux savants, il est devenu — il faut encore qu’entre eux, de nation à nation, de parti à parti, de citoyen à citoyen, de chrétien à chrétien, les hommes jouent du couteau. Le prodigieux essor de la science actuelle peut tout faire espérer, ou redouter la naissance d’une ère triomphale ou la destruction du monde où nous sommes installés. Quelque chose d’inouï va se produire : on sent bien qu’un jour ou l’autre tout « va craquer. En bien ou en mal ? Le Panorama des idées contemporaines », œuvre grandiose de Gaétan Picon, nous montre que les théories humaines, qu’elles soient mathématiques ou philosophiques, se sont sans cesse annulées les unes les autres dans leur lente ascension vers la vérité. Comme les Pyramides, ce monument de nos connaissances sera-t-il un tombeau ? Notre autre motif d’étonnement, le voici : d’un côté, la fabuleuse évolution de la science, de l’autre, la stagnation de l’homme qui n’a fait sur lui-même aucun progrès. Si elle est vraie, nous ne demandons qu’à la croire sincère — tant elle est belle — cette déclaration des Russes souhaitant que les efforts conjugués des savants de tous les pays du monde contribuent à la consolidation de la paix universelle. Car, déjà, tandis qu’éclatait la merveil-leuse nouvelle, les mesquines infiltrations suintaient le satellite allait-il jouer un rôle militaire ? En l’état lamentable des relations de continent à continent, de peuple à peuple, en la sordide condition présente des rapports humains, la manière de ne pas être inquiet ? Les religions sont là qui, depuis des siècles, prêchent la bonté. Il serait injuste de prétendre, comme certains, qu’elles ont totalement échoué si des crevasses sont partout béantes à la surface, le fond qu’elles ont bâti est bien cimenté. On attend un appel, pressant, désespéré les savants qui, eux, ne pratiquent qu’une lutte, celle du progrès, les savants qui ont pris la relève des miracles, peuvent, les premiers, former une phalange unie, un bloc exempt de haine. C’est àeux, les maîtres du jour, de donner un exemple à l’humanité. Puisque notre époque est celle des nouvelles « sensation-nelles », l’heure est venue pour nous d’en apprendre une, au réveil, un matin que sur le monde enfin règne la loi d’amour. Voici que, vers un ciel artificiel, tous les hommes ont le front dressé. Gardant la pose, que leur regard monte donc plus haut encore ! Que ce ne soit pas seulement leurs yeux qui scrutent une matière, mais leur esprit qui soit, vers un idéal, élevé. OLIVIER QUÉANT.