LIVRES PAR Y VES GANDON LES AMANTS par delà le bien et le mal Robert Margerit cultive avec bonheur les personnages d’exception qui, à l’occasion, peuvent être des monstres. Car c’est bien un monstre que cette Cléone d’Aigremore, dans l’ordinaire de la vie infirmière dévouée à son service d’hôpital et, à d’autres moments, sauvage maîtresse d’un Don Juan qui joue sur les deux tableaux. Ce dernier, Richard Artigues, dit Rien, jouisseur sans scrupules, découvre tout à coup qu’il aime sa bacchante, laquelle, cependant, ne lui dissimule pas son mépris. Il voudrait se l’attacher par k cœur et l’esprit autant que par les sens, et elle met à son éventuelle capitulation un prix odieux l’ambivalent Rico arrachera le très bel adolescent prénommé Guy aux séductions de la cousine de Cléone, la ravissante Junie. Pourquoi ? Parce que Cléone — qui pour Rico s’appelle Irène — s’est fait un idéal de pureté qu’elle ne peut accomplir que par le truchement de Junie. On pense à la fors au Docteur Jekyll et Air Hyde, et aux Diaboliques. Tout n’est pas clair dans cette intrigue meublée de singuliers personnages secondaires comme M. d’Aigremore, père du monstre, et Robert Margent ne s’est pas soucié de la rendre parfaitement vraisemblable, en sorte que le lecteur accepte le coup de revolver final sans être tout à fait convaincu. A la vérité, ce qui importe à l’auteur, c’est de créer un monde qui luiappartienne, et on peut dire qu’à cet égard il a tenu la gageure. La monstruosité de Cléone a pour contre-partie la niaiserie patente du beau Guy que l’automobile passionne plus encore que les caresses de sa belle amie, elle-même assez insignifiante et gentiment animale. Tous ces êtres ont leur logique rigoureusement amé-nagée par le romancier qui les mène à la baguette en paraissant leur lâcher la bride. Un départ un peu lent accentue encore le caractère de fatalité romanesque où sont pris les héros de Margent après le premier tiers du livre. On épiloguerait à perte de vue sur cette ceuvre étrange, d’une sensualité ora-geuse, et qui marque une fois de plus le grand talent de son auteur. (Gallimard, édit.) VOUS AUREZ DE MES NOUVELLES histoires de tous les jours Jean-Jacques Gautier a eu la coquetterie de rassembler dans ce recueil de nouvelles au titre cascadeur Es brefs récits écrits alors qu’il ne songeait pas encore à faire cardère de romancier, puis des nouvelles au sens propre du mot, dont la dernière, Mort d’une star, date de 1957. Son livre ainsi conçu fait un peu penser à l’atelier d’un 62 sculpteur où l’on découvre pèle-mêle des ébauches à peine dégrossies qui portent la marque de maîtres admirés, et des œuvres plus mèdes où l’artiste a pris conscience de ses moyens. Jean-Jacques Gautier a d’ailleurs l’humilité de déclarer lui-même qu’il subit d’abord fortement l’influence d’André Mau-rois, dont le recueil l’Anglaise et d’autres ferme » l’avait frappé par la concision de la manière, et qu’il voulut imiter. C’étaient là d’utiles exercices. Je pense qu’il leur préfère, comme moi, des nouvelles bien construites comme Noire Père, et surtout Monsieur Lebsgue, qui a toute la densité et les prolon-gements d’un roman véritable. Plus sec, plus sobre aussi que Maupassant — voyez par exemple Silences, peut-être le meilleur morceau du livre — Jean-Jacques Gautier serait bien inspiré de poursuivre dans ce genre si français de la nouvelle, que le public et les éditeurs moutonniers ont grand tort de négliger. (René Julliard, éditeur.) DELPHES le livre de l’Oracle Que de gratitude on doit aux auteurs et à l’éditeur d’un tel livre ! L’autorisation de photographier, dans l’ensemble et le détail, le site et les fouilles de Delphes, n’avait jamais encore été accordée, et il faut dire tout de suite que M. Georges de Miré s’est montré digne de la faveur qui lui était faite. Il sait et dit dans son avertissement que la photographie est loin de garantir la res-semblance. Pour approcher la réalité du plus près qu’il se pouvait, il a multiplié les angles de prise de vue eta eu l’heureuse idée de braquer son objectif à des heures différentes, jouant ainsi opportunément avec la lumière et l’ombre. Admirez par exemple les six images de l’aurige de Polyzalos chacune complète l’idée que nous en donnerait une seule. Il en va de même des quatre photo-graphies de la merveilleuse statue d’Agias et de bien d’autres, sans parler des édifices et des vestiges architecturaux de tous ordres. On se sent naturalisé Delphein. L’avant-propos de M. Charles Picard, le texte et les notices de M. Pierre de la Coste-Messelière sont de la même qualité. M. de la Cosse-Messelière expose tour à tour, avec une érudition sans défaillance, les origines de la ville sacrée, l’histoire de l’oracle et du sanctuaire, l’évolution spirituelle et politique de l’Amphictionie hellénique. Il fait enfin l’historique des fouilles mêmes, où l’on sait que l’École française d’Athènes s’attacha avec une persévérance et un bonheur parfaits. Tout lettré conscient de sa dette envers la Grèce antique doit posséder ce livre dans sa bibliothèque. (Hachette, édit.) PRIS SUR LE VIF trente-trois portraits Une préface crépitante, très r9aj, de Paul Morand, présente Fauteur, M.60 Denise Bourdet, à qui ce qu’on appelle le Tout-Paris littéraire et mondain n a plus rien à apprendre. On le voit bien à son premier chapitre intitulé les Salons de Paris. Vous y découvrirez, s’il faut l’en croire, et il le faut, que les salons dits littéraires n’existent pratiquement plus. Pourquoi ? Voici Ce n’est pas l’art de la conversation qui se perd dans les salons, mais l’art d’écouter. a Ce préambule acquis, l’auteur entame sa série de portraits, qu’elle inaugure par celui de M.. Louise de Vilmorin. C’est du très joli travail. Certains de ses sujets — la plupart d’entre eux — lui sont familiers. Elle excelle à mettre en valeur leurs traits les plus pittoresques, et elle le fait dans un climat de sympathie qui rend le portraitiste aussi aimable que le modèle. Nous sommes assez loin de Tallemant des Réaux, plus encore de Saint-Simon, mais n’a-t-on pas le droit de sourire à ceux que l’on aime ? Il ne s’agit pas ici d’histoire littéraire ni de critique d’art, mais de témoignages où l’acrimonie n’a point de part. Reste que les historiens de notre temps trouveront leur pâture dans ces croquis lestement enlevés et que, pour faire le point, ils pourront toujours recourir à des mémo-rialistes moins généreux. Pris sur le tif (Pion, éditeur) est un livre à lire. SONNETS SURRÉELS un poète Le Grand Prix de Poésie de l’Académie française, décerné pour la première fois cette année, est allé à un poète digne en tout point de cette palme exceptionnelle. André Berry n’est pas seulement en effet l’auteur du Trésor des Lais, de la Course d’Entre-deux ports, de l’Ancien d’Europe et de ces Esprits de Garonne dont les quatorze mille vers font un digne pendant gascon à la Mireio provençale de Mistral. Il a publié aussi de minces recueils comme les Aunes involontaires et aujourd’hui ces Sonnets surréels (Rougerie, édit.), où il démontre que les régions les plus obscures de l’âme, si laborieusement explorées par un surréalisme balbutiant, n’ont rien d’inconnu pour lui. Tous les poèmes réunis sous ce dernier titre ont la même origine : ils figurent des rêves, tenant plutôt du cauchemar, et que le poète n’eut qu’a mettre en forme à son réveil. La différence essentielle entre les Sonnets surréels et tels bégaiements selon l’orthodoxie surréaliste, c’est qu’André Berry, non seule-ment ne se croit pas tenu de traduire dans un langage hermétique et inconsistant les étranges phantasmes qui lui apparaissent dans sa vie nocturne, mais que, tout au contraire, il juge nécessaire de rester rigoureusement fidèle au message onirique en le restituant comme l’eût fait un Maynard ou un Mathurin Régnier. L’effet obtenu est saisissant. Lisez plutôt l’extraordinaire Sonnet du ver de peau, le Sonnet des seins voles, le Sonnet de /a création trop expansive. Le lyrisme éthéré s’y mèle à un humour macabre ou à une fantaisie guillerette. Jamais peut-titre André Berry n’avait été aussi orinal que dans ces brefs poèmes d’une riche substance volontairement condensée par un virtuose merveilleusement sûr de sa main. Y. G.