La Sicile Oubliez donc les petits temples (par rapport à ceux-ci) de l’Attique et du Péloponnèse. Ils sont à l’échelle de la Grèce ; ceux-ci sont à l’échelle de la Grande Grèce, c’est-à-dire d’un empire colonial… Entre la double et complète solitude de la terre et de la mer, on peut éprouver, devant ce formidable et monstrueux amas de membres rompus, un sentiment (presque) de détresse. Ces débris colossaux ne reposent point en paix, comme, sous les pins d’Olympie, les débris dorés de l’Anis. Vous n’êtes pas à Sélinonte dans un cimetière, mais dans un charnier, dans un abattoir… L’homme s’est enfui d’ici… Vous ne le retrouverez que dans la petite ville de Sciacca (4o kilomètres). Elle a tous ses remparts qui protègent ses églises, ses palais ; et ces belles églises ont leurs fidèles, ces beaux palais, leurs habitants. Vous aimerez vous ménager à Sciacca une courte halte avant de vous remettre en chemin. Arrangez-vous cependant pour arriver à Agrigente de manière à errer dans les ruines au soir tombant. Il y avait sept temples à Sélinonte ; leurs débris sont tristement désignés par des lettres (le temple A ; le temple B, etc.). Il y a aussi sept temples à Agrigente : on les désigne par les noms des dieux auxquels ils furent dédiés. Aucun d’eux n’est complè-tement par terre. Si le temple de Castor et Pollux n’a plus Les d’on.’ siciliens, phis parés que des onled-mils, traînent des charrettes multicolores aux naïves enluminures, vraies pilas de musée. Photographies G. Visait.. que trois colonnes debout, celui de la Concorde, en revanche, est là tout entier, dans sa grandeur et sa magnificence, avec ses trente-quatre colonnes du plus beau style dorique, son architrave, ses frontons et jusqu’à sa cella. La cité grecque (Acragas) a conservé une partir de ses remparts (célébrés par Virgile). Rien d’inhumain ici; et, au delà d’un vallon fertile, une ville moderne prospère sur le penchant d’une colline. Elle donne la vie aux temples auxquels elle doit son prestige… Dormez à Agrigente, soit à l’hôtel de Grande-Bretagne (de vieille réputation), soit au tout neuf hôtel t Jolly «. Le lende-main matin, vous irez salace, au musée, le Ocres (de marbre), frère du couros d’hier ‘ • et, dans la sacristie de la cathédrale, Racine un instant à acine et à Marie Bell devant le sarco-phage romain où Phèdre fait ses plaintes. Huitième journée. — Vous êtes à Enna. Deux puissantes divi-nités, Déméter qui règne sur la terre et Hadès qui règne dessous, se disputèrent, aux âges mythiques du monde, ce pays. L’aspect farouche de l’espace immense qui s’offre à vous (de la terrasse de votre hôtel, le bien nommé Belvédère) vous le dit éloquemment c’est le dieu d’en dessous qui l’a emporté. 24 Il fallait que je vous conduise ici pour que vous vous rendiez compte de visu que la Sicile n’est pas toujours et partout r le pays où fleurit l’oranger s. La fable selon laquelle Perséphone règne tantôt sous la terre, tassas dessus, est née d’une vérité. Lorsque l’épouse d’Hadès s’évade des enfers, les lieux de File où elle aparait se revétent des plus belles fleurs, des fruits les plus eaux. Ces grands morceaux de Paradis, vous les vites autour de Palerme et vous les reverrez, des ce soir, autour de Syracuse. Cependant, ne vous éloignez point de ce site dramatique sans l’avoir un peu exploré. Aujourd’hui, Enna est une petite ville grave, fière de trôner juste au milieu de Pile (à 000 mètres d’altitude) ; fière aussi de ses monu-ments gothiques. Elle possède un trésor de vases sacrés, un petit musée, une petite trattoria. Faites-vous-y servir une de Ces savoureusespize alla sied/ana, non point plates et compac-tes comme les lieue alla napolitain’, mais onctueuses, presque légères ; et, dans des flacons épais, un vin enflammé, couleur de roche, quelque peu madérisé… En allez-vous d’ici par la route du Sud : 170 kilomètres et trois arrêts — avant d’atteindre Syracuse. Premier arrêt pour le lac Perguse. Ses eaux sont d’un vert vénéneux mais, dans ce pays pelé, ses rives sont restées mira-culeusement aussi fleuries que le jouroù la fille de Déméter (elle s’y tressait une couronne) fut brutalement razziée. Deuxième arrêt : en un lieu nommé Casale, où l’on a mis au jour, dernièrement, une ville romaine. Il y a là (Roger Peyrefitte les a vues) des mosaïques à foison, r aussi belles que celles de Délos et de Naples «. Troisième arrêt : à Palazzolo Acreide, pour un tout petit théâtre grec bien conservé et bien situé dans les gorges de l’Anapo, qui est le fleuve de Syracuse, où je vous ai retenu une chambre, au-dessus de la Source Aréthuse, à I’ Albergo degli Stranieri. Neuvième, dixième et onième journée.— Syracuse est d’une part une grande ville ancienne, dont les ruines s’étendent sur la côte ; d’autre part, c’est une petite ville délicieusement vivante, qui occupe Pilot d’Ortygie, si proche du rivage que le pont qui l’y relie n’est guère plus long que l’un des ponts qui franchissent la Seine. Cela va sans dire : vous loges dans Ortygie ; et je gage que vous rez vite l’impression d’être accueillie dans un havre de paix,au de grâce et de poésie. Ortygie donne aussi peu l’idée de la vieillesse que l’Aphrodite de son musée, que ses sources aux mélodieux noms de nymphes, que les lestes dauphins qui gambadent pour l’éternité à l’avers de ses merveilleuses monnaies d’argent. Elle est toute blanche, soit faite de marbre, soit crépie de chaux. A l’exception d’un gigantesque Corso Matteotti, legs funeste de l’ère fasciste et stupidement bordé de hideux « buildings s, elle n’a guère que des maisons peu élevées, de caractère oriental, presque toutes pourvues de balcons aux ferronneries délicatement ouvragées, venues d’Espagne. Ah ! que j’aimerais être là-bas avec vous ! Le petit hôtel est devant la mer, au-dessus de la fontaine Aréthuse (quelque peu décevante, mais quoi ? C’est une nymphe à demi sirène, venue sous-marinement d’Arcadie ; et, depuis des siècles, les poètes révent d’elle et la chantent). Quelles belles flâneries ! tantôt le long des quais en terrasses qui font à Pile un anneau de promenoirs, tantôt dans un gentil dédale de ruelles si propres, si soignées, parmi des indigènes presque aussi détendus, aussi peu nerveux que les Vénitiens… Et, tout d’un coup, on débouche sur une place où s’élève, follement masqué par une façade berninesque, un temple antique. Il est là, comme en cachette, de païen devenu chrétien, et servant Marie après avoir servi Minerve. Ses colonnes, du plus pur dorique, sont taillées non point dans un tuf rustique, comme celles des autres temples siciliens, mais dans une pierre blond rosé, fine et délicate… En face de ce tempio-clomo, il y a le musée ; et, dans ce musée, la fameuse « Vénus Landalina r. Ses longues jambes jaillissent de voiles en forme de conque, comme d’un calice d’écume. On l’a logée dans une toute petite salle, mais en face cl’une large et haute verrière au delà de laquelle brille jusqu’au fond de l’horizon la mer qui l’a mise au monde. Baignée de lumière,