RYTHMES DU MOIS SACHA GUITRY AQUOIr ?’aàvel »’œru vPrree prendra-t-il le plus Sacha Guitry, 110 au personnage extraordi-naire qu’il fut lui-même et présenta opiniâ-trement au public ? II faudra démêler son théâtre de sa personnalité et ce ne sera pas aisé ! II a calqué l’un sur l’autre. Ses pièces reflétaient sa vie, ses épouses en étaient les poupées mignonnes, mélancoliques ou rieus, et lui le protagoniste choyé, flegma-tiquese et railleur. Ses expériences d’homme, l’observation de ses semblables sous son optique d’ironiste, sa majesté naturelle, ses lubies d’enfant gâté, la vivacité singulière de sonesprit, les fusées de ses reparties ont formé -l’amalgame de son œuvre. PAR ROBER T KEMP, de l’Académ,, Fraurai Jamais on n’eût pensé que ce favori de la fortune, ce glorieux de naissance, attaché à sa maison, fier de ses œuvres d’art, nous donnerait l’exemple d’une mort stoïque. Sans doute, oui, voyant la mort s’approcher de lui, regardant, au miroir, son visage creusé, ses tempes émaciées, le crâne à fleur depeau, tel que font de trop affreux portraits de lui, en ces derniers mois, fut-il un malade terrifié… Voyez ces yeux dilatés d’éptm-vante !… Il s’est ressaisi pourtant. Les témoi-gnages concordent. Il a ressaisi la sérénité des grands esprits, lui l’esprit mobile, léger, pétillant, plutôt que vaste et profond. Il est mort en brave. Saluons la fin de cette vie. Elle efface les quelques souvenirs moins va Faisons un rêve Phot. Flarlmgue. beaux que nous avions de lui, de son â de guerre, de ses complaisances d’« occupé me Nous penserons à Sacha Guitry avec amitié ; et même avec respect. L’oeuvre est là, géante et frêle ; vitrine de verreries délicates, dont quelques-unes bril-leront peut-être toujours ; et tes autres feront des pincées de poussière. Comment lui reprocher d’avoir trop écrit ? Autant l’incriminer d’avoir respiré, marché, acheté des livres et des tableaux. Écrire, voilà sa vie, sa passion. Écrire ou parler ses pièces qui semblent des commedie dell’ arte improvisées devant la rampe et sténogra-phiées au vol. Rien ne pèse en elles. Le style en est beau de simplicité, de finesse. Toujours du tac au tac. Mais c’est lui, toujours en scène, toujours r démiurge n, chef des carac-tères, possesseur du langage, guidant la pensée et le cœur des personnages, et leur langue, commandant à leurs sourires, les faisant s’agiter au bout des fils comme des marionnettes, qui est le maitre d’ceuvre. Nous avons vu ses métamorphoses, sous lesquelles on le reconnaissait toujours. Elles furent près de cent cinquante. Mais c’est le jeune Sacha aux yeux clairs, à la moue encore aimable, pas trop guindé dans son orgueil, celui des premières comédies, quand Lucien son père vivait encore, qui nous est le plus cher : celui des Zoaques, du Veilleur de nuit, de la Pèlerine écossaise, de la Prise de Berg-af-Zoom… Et puis de :Jalousie, un peu mûrissant ; de Mozart ou de l’Auteur /710,pd, où sa grâce se fondit à celle de musiciens délicats. Il savait être gracieux. De haut. Il pouvait se féliciter de son esprit. Et il savait comprendre les hommes et les femmes. Ce fut, avant tout, je crois, un moraliste. Pas de la taille de Vauvenargues ni de Joubert, mais de celle de Tristan Bernard, son ami, plus indulgent que lui ; de Renard, dont il a dû envier les griffes. La France a la spécialité des moralistes et du cotignac. Il fut, d’esprit du moins, très Français, Sacha Guitry. On le rétrécirait en disant Parisien… Le tour de sa pensée, et ses cabrioles, et ses tours de passe-passe ne sont plus à la mode de notre temps. Ils reflètent l’insouciance d’autrefois, qui resta la sienne dans les circonstances les plus tragiques. Moraliste, et sous une forme châtiée, avec des mots saisissants. Ses mots sont la moelle de ses pièces; leur dessous scintillant et char-meur. Les mots soutiennent l’intrigue et, si l’intrigue naufrage sur l’océan de l’avenir, les mots flotteront toujours, recueillis dans de précieuses anthologies. Et c’est un sort enviable. Il vanous manquer beaucoup. Il devenait de mieux en mieux r unique ”. Il ne ressem-blait plus aux hommes de son époque. Il devait éprouver quelque émoi de cette crois-sante solitude de l’esprit. Ensomme, pour nous qui n’avons guère plus de monstres sacrés, au théâtre, sa dispa-rition est grave. Il fut le dernier. Le théâtre était sa vie. Et sa vie fut du théâtre. Comment ne pas lui envoyer un salut ému, mélanco-lique ? Encore de nos jeunesses qui s’en va.