voyage à travers le temps, autour d’une très ancienne légende de la chrétienté : la quête du Graal. Cette recherche, restée vaine, d’une coupe où Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ est une épopée mystique et mystérieuse, murmurée de bouche à oreille et sur laquelle on a plus d’indices que de certitudes. Pierre Benoit a pris le bourdon du pèlerin pour rechercher à son tour le Graal. Il lance des noms avec ferveur, de ces noms qui « ouvrent ides portes » : Don Sébastien et Arkas el Kébir, Césarée et la pierre rouge de Valence, Montsalvat et le trésor des Cathares, Montserrat enfin, bien réel en plein XXe siècle, avec ses basaltes hallucinants et sa Vierge Noire, apportée par saint Luc et toujours suspendue au flanc du rocher dans une basilique toute en or… Les premiers grands voyageurs français appelaient les sauvages des « naturels ». Terme charmant qui saluait une intimité avec la nature que les explorateurs ne possédaient déjà plus. Eh bien, Pierre Benoit est un cérébral parfaitement naturel. Il se moque des vêtements qu’il porte, oublie parfois de (liner, déteste les embarras, n’est incommodé ni par le froid ni par le chaud. Dans le golfe Persique, tout guilleret et un peu honteux, il avouait à un entourage pâmé : « J’aime la chaleur. » Bien qu’il se dise maladroit, il a l’ceil précis et tire bien. Il a pourtant abandonné la chasse après avoir écrit « l’Ile Verte ». Si vous avez lu ce récit, vous comprendrez la résolution du chasseur. Désormais, ses passions sont celles d’un sage : la belote, la cueillette des champignons. Il a rencontré M. Bidault ALLEGR1A… Un grand hall tient la hauteur de la maison. Aux murs, la pierre a été laissée apparente; elle s’harmonise avec les vieilles poutres qui sou-lignent le plafond. C’est là que l’on se tient lors-que la chaleur ou le vent vous chassent de l’exté-rieur. Une bonne flam-bée, dans l’âtre duquel on fait cercle dès les premiers soirs d’automne, est le point attractif de la pièce déco-rée de meubles paysans régionaux (5). Un esca-lier de chêne monte à la loggia-salle à manger, rustique elle aussi. Son plafond est étayé par de grosses poutres laissées dans leur ton naturel (6). 5. à un déjeuner, et, quand tous les convives attendaient des évocations prestigieuses du passé, ces deux spécialistes de l’histoire sont restés fraternellement plongés dans le terreau humide des sous-bois. Pierre Benoit adore discuter le coup avec les gens, — il ne dit pas les petites gens, il dit « les gens », — les chauffeurs de taxi, les bistrots, le facteur. Presque sans l’avoir fait exprès, à force de nonchalance, dirait-on, il s’est trouvé assis sous la Coupole. Ses héroïnes ont envahi l’écran sans qu’il les ait proposées non plus. Mais il y aurait tant à dire sur ces femmes à la fois présentes et voilées, fatales ou plutôt conduites par la fatalité ! Leur cohorte ne le hante pas. Elles s’écartent de lui dès qu’il a écrit le mot « fin », sans toujours dire leur secret. Et si le lecteur s’interroge, s’il veut savoir le mot de l’énigme, le romancier répond avec une candeur parfaite : « Je ne le sais pas moi-même. » N’est-ce pas à propos de Mile de la Ferté, la plus complexe, la plus réticente de ses filles, qu’il a écrit : « Des gens se sont plaints d’être ainsi perpétuellement livrés à leur seules conjectures. J’en suis demeuré un peu surpris. Ne vaut-il pas mieux, dans le roman, ne pas trop mettre les points sur les i ? » Sur cette pirouette, Pierre Benoit s’en va, en plissant des yeux rieurs, nullement accablé par le poids de ses quarante romans. ANNE DE PENNENDREFF. 45