Pierre Benoit historien prépare chacun de ses livres plus longuement qu’il ne l’écrit et avec plus de plaisir encore. Pierre Benoit poète rêve longtemps aux drames singuliers qu’il découvre. Plaisir d’étudier, plaisir d’écrire, voilà son secret. Sa facilité apparente est le fruit du métier, qui n’entame pas la conscience. Le scrupule du travail aboutit à ces grandes pages incroyablement nettes, pleines de son écriture aimable et secrète, que Mme Pierre Benoît fait relier à mesure, copies définitives auxquelles manquent malheureusement les premiers manuscrits, celui de l’ « Atlantide », entre autres. « C’est en mer, dit le romancier, que je travaille le mieux, sans visites, sans obligations, sans téléphone, coupé de tout. Je m’enferme dans ma cabine, en pyjama, j’écris toute la journée, j’en sors le soir. » Le tourisme lui fait horreur. Les escales ne le tentent pas. A Aden, il refusa de voir la ville. Aux Nouvelles-Hébrides, une journée à terre lui suffit pour contrôler l’exactitude des évocations d’ « Erromango » et la valeur d’une documentation bien faite. En revanche, dans les contrées qu’il aime, au Portugal par exemple, — il parle de Nazaré, de l’Algarve, en termes délicieux, — sa flânerie n’a plus de fin : il voit le pays, le respire et s’attendrit de la délicatesse du guide d’Alcobaça qui lui montra le sarcophage de Pierre le Cruel sans parler des profanations commises par les troupes de Junot. En Syrie, au Liban, où il a fait de longs et fréquents séjours pour y composer « la Châtelaine du Liban », « Notre-Dame de Tortose », « Saint-Jean d’Acre », nous marchons avec lui dans les pas ALLEGRIA… C’est le nom — commen-tant par un A, comme les héroines des romans de l’auteur — de la villa où M. et M » Pierre Benoit passent leurs vacances,à Ciboure. Ancienne ferme basque transformée par les soins de la maitresse de maison en une demeure sans prétention, mais accueillante aux amis jusque dans l’arrière-saison. Côté mer, la ter-rasse est protégée des vents par une grande glace fixée dans le mur (3). Côté jardin, la déni-vellation du terrain met le rez-de-chaussée à hauteur d’un premier étage ; on y accède par une échelle de bateau (4). des Croisés, d’un krak à l’autre, retrouvant partout l’empreinte franque. Il nous rappelle que ces forteresses servaient aussi bien de relais aux hommes qu’aux nouvelles. La découverte de la sainte croix à Jérusalem fut connue dans la nuit même à Constantinople, par un « télégraphe » de feux, allumés de colline en colline. Partout, le film du passé se double pour notre joie d’un roman en cours. Chaque lieu engendre une action. Le pays basque inspire « Aïno », pour lequel Cocteau a fait de merveilleux dessins. Les Landes se projettent dans la forêt balte d’ « Axelle »… Cet amoureux de l’histoire se défend pourtant d’être historien. L’érudition de Pierre Benoit, vivante et fascinante, est toujours contenue par un humour certain. Il suffit de l’écouter parler pour savourer sa malice. La croisière qu’il se proposait de faire au printemps était destinée à l’achèvement d’un livre. Mais comment partir quand « l’Atlantide » prend corps à l’Opéra ? Son créateur ne pouvait quitter Antinéa, née dans les sables du Chéliff, il y a juste cinquante ans, alors qu’elle se prépare à reparaître, plus ensorcelante que jamais, sous les traits de Ludmilla Tchérina. Durant le dernier hiver, les tempêtes du golfe de Gascogne ont créé autour de lui l’isolement nécessaire à la création romanesque : « Montsalvat » est né. Nous voici encore emportés dans un 44