LE POISSON D’ARGENT ADRIENNE tient le journal déployé devant sa figure. Il ne faut pas que Laurent voie trembler sa bouche. Il ne faut pas qu’il voie ses yeux. Ce serait trop facile. Elle tombe sur un fait divers bizarre dont elle déchiffre le texte avec peine, à cause des armes. s Une lionne échappée se réfugie au heuxième étage d’un immeuble. b Intéressant. inc jeune lionne sesauve d’un cirque, rimpe au sommet d’un escalier et se tapit ;us un palier obscur. Alors des gens armés usqu’aux dents arrivent pour la capturer. alle rugit. Elle laboure le parquet et les nues avec ses griffes. Elle veut déchirer, acérer, massacrer. Elle se défend furieuse-nent. Ça fait du bien de lire une histoire tussi féroce. Quelque part, au fond du cœur l’Adrienne, rugit et se révolte la voix de on chagrin, qui ressemble à cette bête raquée. Elle relit une seconde fois le fait livras, puis une troisième fois. Seulement lors, sa gorge se noue. Elle baisse le journal lui est comme le bastingage d’un navire en PAR DOMINIQUE ROLIN détresse. Mais, contrairement à ce qui se passe d’ordinaire, la tempère sévir à l’intérieur du navire au dehors, sur la mer intime de la chambre,règne le calme. Laurent, de l’autre côté de la table, boit à petits coups sa tasse de café. Ses yeux un peu enfantins semblent perdus dans le vague. Peut-être lit-il au verso du journal ? Incroyable mais possible. Laurent est ainsi fait. Adrienne le connaît sur toutes les coutures. Huit ans de liaison lui ont permis de coudre et de découdre l’âme de l’homme qu’elle adore, d’en explorer les plis, les poches, les bouton-nières, d’en vérifier le tissu, d’en lisser les lieux de fraîcheur et d’usure. Adrienne est couturière, elle emploie donc un langage de couturière. Et voilà il y a une heure à peine, Laurent a annoncé qu’il voulait rompre, qu’il était grand temps pour lui de faire sa v bref qu’il avait l’intention de se marier.ie Il a réussi à dire la chose très vite, presque sans bruit. Et la lame de souffrance enfoncée dans le cœur d’Adrienne n’a pas fait davan-tage de bruit. Tout s’est passé avec une simplicité étrange ; la blessure n’a même pas l’air de vouloir saigner. Adrienne a toujours su qu’éclaterait ce jour, cette heure, puisqu’ils ne s’étaient jamais rien promis. r Je suis libre et tu es libre », voilà ce qu’ils n’ont cessé de se dire au long de ces huit années, en échangeant de malicieux clins d’œil. Je suis libre, tu es libre, c’est facile à dire. Et maintenant, s tout est fini entre nous s. Laurent prend une hache pour fendre leur amour en deux parce que cet amour trop gros, trop long, l’encombre. Comme si l’amour pouvait être cassé, telle une bûche qu’on fourre dans le poêle. s Que tu es naît’, mon chéri s, se dit Adrienne. Elle a une envie terrible d’entourer Laurent de ses bras et de sangloter. Cette espèce d’élan était possible après une dispute, un brouille comme ils en ont eu des quantités.e Cependant, à cause de la décision de Laurent s Je te quitte pour épouser Dorothée de la 29