Souriante tant a glaise Suisse garde men’oxrC,nr.rvee:em :‘2; du lac genevois et les traces des émigrés. AVANT de partir à la recherche des souvenirs artistiques, I 1- littéraires, touristiques et politiques que la France a égrenés sur la berge suisse du « lac bleu», il convient d’évoquer la mission curieuse que cette région a remplie au flanc de la Savoie. Les rives du Léman ont toujours servi de refuge à ceux que la France refusait de garder en son sein. Voltaire et Rousseau, sous l’ancien régime, Germaine de Staël et Benjamin Constant, sous l’Empire, transplantèrent ici leur fortune, leur esprit, leur gloire et leur salon. Ils s’enracinèrent profondément dans cette terre qu’ils marquèrent de leur empreinte. Il existe une harmonie secrète entre le lac Léman et l’architecture classique des châteaux français du xvine siècle qui ornent ses bords. Ces vastes demeures se fondent dans le paysage pour former avec la complicité du lac et des coteaux une œuvre d’art. La richesse maté-rielle et spirituelle dont elles demeurent le témoignage a été préservée par la Pax helvetica, et l’ensemble constitue un véritable « document » sur l’art et la manière de vivre au temps des philosophes. De Genève à Vevey, traçons un arc au-dessus de la rive nord du lac. Et choisissons Vevey comme point de départ de notre pèlerinage à travers le xvine siècle français. Premier objectif : Hauteville. C’est là le plus jeune et le plus fastueux château édifié par des émigrés. On est tout d’abord séduit par la noblesse et le charme de cette colline tapissée de prairies qui viennent mourir dans les eaux irisées du Léman. La silhouette enneigée des hautes montagnes sert de toile de fond. Lady Caroline Capel en garda lors de sa visite en 1816 un souvenir ébloui : « Nous dînâmes, écrivit-elle, avec M. et Mme d’Hauteville, personnes très aimables et sociables ; ils ne sont pas suisses, mais français, ce qui explique leur gentillesse. » Depuis sa construction, Hauteville appartient à la même famille. Pierre-Philippe Cannac, qui acheta le terrain en 1760, « construisit, dit la chro-nique, la belle et vaste résidence seigneuriale que ses héritiers ont su conserver intacte et qui passa par alliance à la lignée Hauteville ». D’un style moins sévère que les autres châteaux du pays vaudois, Hauteville surprend par son exubérance italienne, qui éclate sur les façades peintes dans le goût théâtral avec des médaillons décoratifs et des effets de trompe-l’oeil. Cet esprit exotique se manifeste plus encore dans 20 le grand salon aux murs couverts de fresques baroques. Les pièces adjacentes, cependant, font revivre le goût exquis du xvine siècle et spécialement le salon d’été avec un fastueux mobilier, un buste de Houdon et des panneaux de l’école d’Albani et de Boucher. On devine ici la présence de toutes ces générations qui ont patiem-ment thésaurisé la fragile beauté de leur temps. Ce respect du passé se concrétise dans le musée garde-robe où sont disposés éventails, dentelles, gilets brodés de soie, uniformes brillants, pistolets aux crosses ciselées, petits livres de raison qui gardent précieusement entre leurs feuillets le parfum d’autrefois. Il faut s’arracher à Hauteville et reprendre la route du lac à travers les vignobles de la côte de Lavaux. Lausanne, Ouchy, Morges… Voici enfin le petit village de l’Isle. Retranché dans sa grandeur mélancolique, subsiste ici un château édifié en 1696 sur les plans de Mansard. Mais la vaste pièce d’eau qui reflète la masse sombre du feuillage ne capte désormais dans son miroir que la silhouette triste d’une demeure où les services municipaux ont balayé les jeux de l’amour et du hasard. Pour rejoindre le lac, la route passe devant le splendide château de Vuillierens, qui trône dans un site arcadien, devant le château de Saint-Sapborin, aux murs tout sonores encore du rire de Voltaire, devant la maison d’Aspre, idyllique gentilhommière ces trois asiles de rêve appar-tiennent depuis leur fondation à la famille Mestral. A Rolle, un simple coup d’oeil s’impose aux Uttins, où le duc de Noailles tenait sa cour pendant la Révolution « Dans un petit manoir situé en face du plus beau tableau de la nature, on voyait un homme déchu des plus hautes dignités de son pays et dépouillé de sa fortune, tombé des habitudes de luxe et de la cour dans la simplicité d’une vie bourgeoise… On le voyait calme, serein, aimable, sans amertume et sans regret, livré à l’étude en pleine liberté d’esprit, comptant pour peu ce qu’il avait perdu et peu soucieux de le recouvrer un jour, conservant ses nobles manières dans son modeste ménage… C’était un vrai philosophe en action. » C’était surtout une résidence pour « philosophe doré ». Si l’on en croit la description de son cousin, le grand seigneur en disgrâce pouvait y philosopher à l’aise. Une brève promenade à travers les vignobles nous amène en un lieu complètement retiré du monde : le château