SAINT-NAZAIRE, « capitale des constructions navales », occupe la première place parmi les chantiers français et l’une des cinq premières à l’échelon mondial. Elle a vu en cent ans sa population passer de 5.000 à plus de 40.000 habitants, dont les deux tiers vivent précisément des chantiers. Entièrement détruite en 1943, la ville s’est reconstruite à vive allure et ne demande qu’à s’étendre. Étant limitée par le port et le fleuve, elle n’a qu’une issue, le quartier neuf, où avec l’aide de la Reconstruction et un emprunt de 60 millions de francs à des particuliers M. le Curé de Sainte-Anne a choisi de rebâtir son église. Deux autres paroisses assurent la vie spirituelle des Nazairiens, mais sainte Anne, on le sait, protège les Bretons, les marins et les bateaux ; elle patronne tout naturellement l’église des chantiers et va suivre l’expansion de ceux-ci et de la ville, pour laquelle sont prévus dans l’immédiat un hôpital, un grand hôtel, un collège technique et de nombreux immeubles collectifs d’habitation. Les paroissiens n’étaient pas hostiles à une construction moderne ; l’architecte, Henri Demur, et les entrepreneurs ont été choisis, d’un commun accord, à Saint-Nazaire. « L’Art Sacré», à Paris, a recommandé quelques artistes spécialisés. Ces entretiens datent de cinq ans. Dans quelques jours, Mgr Villepelet viendra de Nantes pour la consécration. Ce ne sera pourtant pas la première cérémonie qu’abritera l’édifice neuf les paroissiens de Sainte-Anne ont décidé au printemps que les communions solennelles de l’année ne pouvaient avoir lieu dans l’église en planches dont ils s’étaient contentés jusque-là. La plupart d’entre eux, ouvriers des chantiers le jour, ont travaillé le soir et donné leurs samedis pour que leur église fût utilisable — sinon achevée — le 16 juin dernier. C’est le 15 que nous sommes allés les surprendre. Le chantier n’était pas seulement le long de la Loire, mais à l’extérieur de la construction (porte béante, clocher encore entouré d’échafaudages, bétonneuse provisoirement figée) aussi bien qu’à l’intérieur où la tribune apparaissait derrière les poutrelles et l’autel écrasé sous sa housse. Le sol était encombré de tout, sauf de bancs. L’Église SAINTE-ANNE A SAINT-NAZAIRE construite pour eux et par eux Les équipes des entrepreneurs débauchent le samedi. Ce samedi-là plus que leslautres,Ila relève devait être assurée par les bénévoles. Tout le jour et tard dans la nuit, sceptiques pour le lendemain et fascinés par le moment présent, nous avons partagé avec M. le Curé une légitime nervosité ; mais la ruche dégageait un tel climat de confiance et de travail efficace que nous nous sommes laissé gagner. Des équipes se sont constituées, se chargeant, qui de l’électricité, qui du transport des bancs, qui de la dépose des poutres métalliques et du balayage, improvisant pour notre photographe un ballet inespéré. Comme nous avons regretté l’absence du magnétophone! A la tribune, on chantait en italien. A côté de l’autel, on essayait les micros en faisant fonctionner pick-up et harmonium, le tout rythmé par les chutes de ferraille et les coups de marteau. A 20 mètres de H, filles et garçons répétaient leurs cantiques. Plus près de nous enfin, des travailleurs assoiffés choquaient allégrement leur verre de « Gros plan (en fait de vin nantais les Parisiens connaissent surtout le muscadet). A la nuit, outils et échafaudages ont disparu, les micros répondent, les bancs sont rangés, las lis et les glaieuls disposés dans les immenses jarres en grés de la région, le baldaquin illumine l’autel, les candélabres en simple fer, forgé dans le pays, ont reçu leurs bougies, les vitraux s’éclairent électriquement : Sainte-Anne attend ses fidèles. A 6 heures et demie, le lendemain, M. le Curé, très ému, dit sa première messe Sainte-Anne remercie ses fidèles de tous leurs soins. A 9 heures, sous le porche, un jeune vicaire invite à entrer, en les appelant chacun par son nom de baptême, cent quarante enfants qui vont tout à l’heure communier au cours d’une messe dialoguée, vivante et familiale. L’église est pleine ; les hommes, qui habituellement attendent la sortie sur le parvis, pénètrent sous le porche. Quelques coiffes locales se détachent çà et là. Par les vitraux de côté et les quarante-huit croix qui ajourent le mur du fond comme la façade, le soleil perce. Dans la foule, au pied de la tribune, un homme un peu crispé guette ce qui pourrait arriver de fâcheux c’est l’architecte, qui n’ose encore croire qu’avec 1.500 paroissiens et leurs prêtres il a fait vivre Sainte-Anne. ANNE FOURNY 13