ÉDITORIAL A L’HEURE DU CAFÉ… DANS un hôtel de ville d’eaux, en Auvergne, un dimanche, à l’heure du café. Sur la terrasse, les curistes sortant de la salle à manger se groupent par affinités liens fragiles ou durables comme ceux qui se nouent à bord des paquebots. Dans cet éventail de partis ou d’apparentements, je joue à l’indépendant et me promène entre les tables, la tête toute pleine d’un grand souvenir que je voudrais, longtemps intact, conserver Aix-en-Provence, d’où je reviens. Aix : la forêt enchantée de fontaines et de platanes où l’on entend encore les échos de Mozart après que le décor de Cassandre a pris dans la nuit son allure de temple au clair de lune. Mes pas sinuent à travers les groupes d’estivants. En voici quatre qui se sont rués à une table de bridge : ils y resteront, vissés, jusqu’au dîner, alors que tout autour d’eux, à quelques pas, la campagne auvergnate avec l’or de ses champs et le vert sombre de ses arbres compose sur le fond bleu des horizons vallonnés un des plus beaux paysages du monde. Ici, deux hommes vantent l’un à l’autre les qualités de leur voiture ; là, deux femmes se font grand compliment de leur robe. Comme si l’on pouvait être fier d’une chose qu’on n’a pas faite soi-même. Je passe. Autour de leurs tasses, trois femmes parlent de leur mari, de leur maison qu’elles ont laissés en Algérie. Je perçois l’inquiétude à travers la gravité des propos. Depuis des années fixées là-bas, y ayant fondé leur foyer et tous leurs espoirs, elles vivent maintenant au jour le jour sous la perpétuelle menace d’une agression, d’une explo-sion. Elles tremblent chaque matin quand leurs enfants partent pour l’école. Je pense aux Parisiennes qui, en ce moment, s’étendent sur la plage de Deauville ou celle de La Saule dans leur sac de toile, il n’y a que du rouge à lèvres, un peigne et un roman. Dans le sac de leurs compatriotes d’Oran ou de Philippeville, posé sur un autre sable plus rouge, il y a un revolver dont le canon parfois s’échappe et luit au soleil accessoire insolite rendu nécessaire par un danger qui, sans cesse, rôde, obsédant… Mais voici qu’une seconde table de bridge s’organise. Deux industriels s’y installent, ravis de pouvoir tuer le temps qui leur semble long. De la poche de leur veston sort la couverture noire d’un « policier », prouvant qu’ils aiment aussi, par instants, la lecture. Des voix s’élèvent d’un coin de la terrasse. J’y reconnais plusieurs accents étrangers et singulièrement celui du Moyen-Orient quise nuance d’inflexions bourguignonnes. J’entends déplorer que tant de pays où la terre et le ciel sont d’une admirable beauté, où tout invite à la paix, à la contemplation, soient gâchés pour le tourisme, interdits aux visiteurs par des coups d’État ou des appels à la haine. Je songe à cette affiche que, du train, des années durant, on voyait dressée dans nos prés au long des rails : « Egypt for romance ». Soudain, les conversations s’arrêtent, comme étouffées. Un « scooter » traverse la petite ville. D’abord un énorme frelon qui fait sur les tympans l’effet d’une vrille. Quand l’engin se met à escalader le coteau, face à notre terrasse, son bruit devient trépan, perforant, cette foir, les cerveaux. A quoi bon ces pancartes placées tout alentour : « Station thermale. Silence ! » Ce silence, devenu un luxe inaccessible. Mais voilà qu’une discussion animée m’attire. Son objet : la prédication du Curé, ce matin à la messe. J’y étais. Le prêtre a dit aux fidèles « Combien d’entre vous qui passent des heures chaque jour à soigner leur corps pensent au salut de leur âme? » Un homme déclare « On ne devrait pas faire le bien par intérêt, avec l’arrière-pensée de gagner des points pour le ciel. Car alors la charité devient un calcul. » Je viens de retrouver là une des objections à la religion que j’avais énumérées dans l’éditorial de notre dernier numéro de Noël. Des catholiques pratiquants, des prêtres même m’ont écrit que c’étaient bien là en effet les critiques les plus cou-rantes. Je m’assieds et j’écoute, souhaitant que vienne la réponse à cela. Une femme la donne « Vous avez mal compris, monsieur ! Faire son salut, c’est faire le salut des autres. Le Curé l’a bien dit, en chaire, ce matin « En ne vous occupant que de vous, vous perdez du temps. Vous gagnez du temps en aimant… » C’était « A l’heure du café », un enregistrement d’ OLIVIER QUdANT.