MONTSALVAT ou la quéte du Graal Ce quarantième roman de Pierre Benoit, Mont:salve (Albin Michel, édit.), est certai-nement un des plus originaux qu’ait écrits l’auteur de l’Atlantide. Sa veine la plus fami-lière a toujours été d’inspirer, par une action moderne, une sorte de hantise d’un passé plus ou moins historique. A la page ,I•■ de Montraire6 il nous livre à peu près sa formule : a C’était la première fois, dit son héros, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Montpellier, que moi, his-torien de métier, je sentais la vie se confondre de façon aussi émouvante avec l’histoire. Dans Montra/rat, l’histoire est étroitement mêlée à la légende, puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, de la « guète du Graal s, et que les foudres de la musique wagnérienne s’y joignent à l’épaisse fumée des bûchers cathares. L’héroïne du roman, Alcyne de Pérella, est en effet la descendante du loin-tain défenseur de Montségur, Raymond de Pérella, et la tradition veut que le célèbre vase d’émeraude, dit Saint Graal, apporté de Palestine par Joseph d’Arimathie ait fait partie du trésor des Cathares gardé quelque temps à Montségur. Or l’excellent professeur François Sevestre, âgé d’une trentaine d’années, termine sa thèse de six cents pages sur le traité de Lorris, signé en janvier 1243 entre saint Louis, roi de France, et Raymond VII, comte de Toulouse. Par ses études sur l’écrasement des barons cathares, il s’est intéressé au Graal. Voici que, dans un compartiment de chemin de fer, il lie commerce avec Alcyon, s’éprend de l’or-gueilleuse fille et, bien qu’il soit un honorable père de famille, se trouve entraîné avec elle dans une nouvelle a quête 2. Le château familial d’Alcyone est à Montsalvy, dans le Cantal. Montsalvy ne serait-il pas le Mont-salvat de Wagner ? Mais la question reste entière en ce qui regarde Montserrat et Montségur. Le drame se noue en 1943, et le chateau de Montsalvy est alors occupé par les Allemands, qu’une singulière coïncidence fait commander par deux officiers également intéressés au Graal l’un, Karl von Karlenheim, était avant la guerre moine à Montserrat ; l’autre, le major Cassius, antiquaire à Berlin. Comment François Sevestre, nouveau chevalier de « la divine grâce t, sera entraîné par Alcyon dans toutes les anciennes forteresses cathares, comment les deux officiers allemands périront, sans préjudice d’autres malheurs réservés à l’infortuné professeur, c’est ce que je ne saurais dire sans déflorer fâcheusement cet attachant récit. On y retrouve, avec toutes les clefs magiques de Pierre Benoit, ce sens du mystère et des paliers d’intérêt qui lui a valu tant de succès. Le romancier, le poète et l’érudit se sont ligués ici pour monter, avec le concours de l’humoriste, une fabu-leuse machine qui retient l’esprit et trouble le cceur. 66 VOYAGE AVEC UNE OMBRE un roman d’artiste Premier rn d’une jeune femme qui, jusqu’ici, s’était limitée à ln discipline des arts plastiques — notamment à la sculpture, où elle a montré un beau talent — Voyage avec une ombre, d’Anne Sarag, porte la marque d’un tempérament. Le sujet n’en est pas très bien défini, ou plutôt les personnages sont un peu trop noyés dans le détail du décor. L’action s’éparpille et se situe dans une succes-sion de tableaux qui n’ont pas tous la même nécessité. Ces réserves faites, il convient de louer la délicatesse de touche avec laquelle l’auteur cerne et exprime les sensations les plus ténues, son mil de peintre et, de-ci de-là, telles,hréufli ex( pio.ns pertinentes sur l’art d’au-La morale du livre est assez sombre. Constant, directeur de compagnie d’assurances, épouse Marguerite d’abord, puis Manuelle. Avec la première, c’était l’enfer conjugal, l’épouse, promptement devenue acariâtre et d’une insupportable vulgarité. Manuelle est d’abord un rêve fait femme. Puis un enfant nais et, peu à peu, le bonheur des époux se corrompt, peut-être parce qu’ils ne comprennent pas qu’il doit se transformer, peut-être aussi parce que Constant est un médiocre. Arrive là, l’auteur abandonne ses personnages. A nous de continuer le rêve morose où il nous a introduits. Et pourtant ce livre de début est animé d’un grand amour de la vie, et sa couleur poétique mérite d’être signalée (Calmann-Lévy, édit.). DU MONDE ENTIER AU CŒUR DU MONDE Pomme lyrique de Cendrars C’est la première édition « définitive et complète ■■ des poésies de Blaise Cendrars, et elle vient à son heure. Le grand reclassement de la poésie moderne, depuis la publication d’Aleools, reste à faire et il est bon que l’apport personnel de Cendrars, réuni dans un seul volume maniable, s’offre désormais à l’ama-teur sans la trahison des « morceaux choisis a. Ce qui étonne, de prime abord, c’est la minceur de Pceuvre, comprise tout entière dans uneriode cjui s’étend de 19,2 à x927. On dirpéait que le prosateur a jugulé le poète, si la différence entre l’un et l’autre était vraiment appréciable. Cendrars, en effet, puise à la même source poétique dans les Pâques à New-York — un de ses plus beaux poèmes — et dans Morava:gine, qu’il écrive les Confessions de Dan Yack ou la Prose du Transsibérien. Sensible dès son plus jeune âgeaux prestiges de l’aventure intercontinentale et à un certain bariolage burlesque, il a été le premier peut-être à découvrir la pépite de poésie enfouie dans la fange du quotidien. Qu’il ait un peu exagéré dans ce domaine, par exemple dans son poème élastique a intitulé Dernière Heure (p. 94), je pense qu’il n’hésiterait guère à en convenir. Comme chez Apollinaire, mais avec plus de virulence encore, le goût de la mystification et du canular a été intimement lié pour lui à ce qu’il considérait comme la poésie « moderne a. En face des symbolistes nuageux et pleurnichards, les a cubistes a, à qui l’on peut le rattacher, se présentaient comme de cyniques plaisantins, ouverts à tous les spectacles du monde. Je voudrais avoir le temps et la place de développer ces remarques trop rapides. Sans aucun effet de style, et parfois même avec un mépris du style allant jusqu’à la glorification de la manière la plus conventionnelle, Cendrars a obtenucertains effets curieux par choc en retour. Voyez le début de Printemps dans ses Documentaires: rien de plus plat et cependant… (éditions Denoél). TROIS PROMENADES LYONNAISES un photographe poète De Bellecour à Fourvière, d’Ainay à la Croix-Rousse et de l’hôtel de ville à l’Hôtel-Dieu, telles sont les trois promenades proposées dans le vieux Lyon par l’écrivain Jean Colliard et le photographe Tony Demilly. Dansa préface, le premier s’efface modes-tement devant le second, et c’est justice. « Comment Lyon, ville de poésie, déclare-t-il, n’aurait-elle pas encore ses poètes ? Le plus grand d’entre eux, je ne crains pas de l’écrire, est Tony Demilly, son photographe. a Il faut, en effet, bien connaitre et aimer profon-dément un site urbain pour y saisir, même par l’objectif, tant de beautés. Voyez le quai du Rhône (pp. 36, 37), la Saône eue Mi chemin de Montauban (p. 5 3), et cette galerie de l’Hôtel-Dieu, et cette mysté-rieuse traboule, où une femme gagne la lumière. Il faudrait tout citer et, à l’occasion du prochain bi-millénaire de Lyon, je ne vois pas de livre plus propre à être offert tant à ceux qui aiment la ville qu’a ceux qui ne la connaissent pas encore (Chez l’auteur, 31, rue Grenette, Lyon). ANAMORPHOSES une muse et sa lyre Sous sa luxueuse couverture de moire rose, ce recueil de poèmes commence par inquiéter. Le papier est de qualité, l’impression, parfaite, et une merveilleuse rose d’Henri Mondor lui sert de frontispice. La préface de Mue Fronces de Dalmatie sonne comme un manifeste. Que de périls et qu’on a de plaisir à écrire tour simplement qu’ils ont été surmontés ! C’est que l’auteur d’Anamorphoses (P. Seghers, édit.) a tous les dons du vrai poète la sensi-bilité, la fantaisie, la discrétion, le sens du mot juste, et à tous ces mérites elle joint le courage. Du courage, n’en fallait-il pas à une toute jeune femme pour secouer le honteux prestige de la poésie invertébrée et se plier a la métrique classique, sans rien perdre de sa fraîcheur ? Elle en a été récom-pensée par de délicieuses réussites comme Chansons à boire ou les Epiees. Frances de Dalmatie fera mieux sans doute, mais elle est sur le bon chemin. YVES GANOON. DANS L’ÉDITION (suite) ■ Le ne 54 de la revue Résonances lyonnaises est axé sur le thème de l’Art sacré. Des peintres, des architectes, des écrivains, des hommes d’Église, dont le Père Couturier, y expriment leurs opinions et plaident géné-ralement en faveur d’une formule adaptée aux exigences artistiques de l’homme moderne.