PAR CLAUDE IL AIG BIÈRES RERLIOZ a lui-même forgé sa légende de musicien maudit z. Et pourtant quel compositeur peut,’ de son vivant, rêver d’une carrière à la fois plus glorieuse et plus fructueuse que la sienne ? Toute l’Europe romantique l’acclama, et ne le vo-on pas défiler sur les boulevards de Paris, sabre au poing, dirigeant une armée d’instrumentistes et de choristes qui exécutaient sa Spephonie funèbre et triomphale? Mais le seul succès que Berlioz eût vraiment prisé aurait été une victoire décisive sur le génie de Wagner. Et c’est en s’attaquant au maitre de la Tétra-logie qu’ilrencontra son seul échec. Wagner ayant écrit la musique et le livret de l’Anneau des Niebelungen, Berlioz décida d’opposer à ce monument les Troyens. La légende méditerranéenne dressée contre la légende germanique; les dieux de l’Olympe bousculant ceux du Walhala sur, les marches de l’Opéra l’ambition était immense. Et e Les Doyens n ont inspiré à Mariano Andrea efeseoshones idafois barbares eireené, Voici une de ces études représentant le chef dessoldat s grecs. Berlioz perdit la bataille parce qu’il voulut la livrer bien qu’elle fût inutile. Car si ses Troyens étaient un chef-d’ccuyee, la Tétralogie l’était aussi, et nulle comparaison ne s’impo-sait. Berlioy no succomba pas sur le plan esthé-tique; il fut vaincu sur le plan administratif. Ses Troyens se divisaient en deux ouvrages la Prise de Traie et les Troyens à Carthage. 58′ ale« pat de Carthage et le célèbre es xOgriniesine cheval de Troie, Mariant Andrea rient au premier ram des décorateurs de Ibéd Ire actuels. Ils étaient tous deux trop courts pour iccuper une soirée de spectacle, et réunis ils formaient un ensemble interminable. En définitive, Berlioz ne vit jamais représenter la version intégrale de son ouvrage. Même aujourd’hui, seuls des morceaux choisis sont connus du grand pul5lic, car ils font la fortune des concerts dominicaux. Mais Berlioz a la chance, en 1957, que le goût britannique soit orienté vers des œuvres denses, copieuses, colossales. 11 n’y a plus qu’a. Londres que l’on puisse voir les ballets de Tchatkovsky dans leur ampleur originelle. Seul Cotera Garden pouvait oser monter Jean Babilée,cborégraphe et daeseur, a connu des prie grands succès de sa carrière en créant Boucle o cetété, été, a, casino d’En.gbien. les Deeea sans on retrancher une note. Et la tentative se révéla plus fructueuse que l’on ne pouvait l’imaginer, parce que z l’arrivée des Troyens à Carthage n, z les adieux de Didon et d’Enée n, z la mort de Didon formaient notamment trois fresques d’un lyrisme brûlant et dont on soupçonnait mal les couleurs et la violence. Et cela sans parler de la Marche troyenne et de le Classe, souvent exécutées en concert. Il est vrai que le Marre britannique a construit pour les Troyens un décor réaliste et grandiose signé par Maria. Andrett, quia également dessiné des costumes où le classicisme troyen s’oppose à l’exotisme chamarré de Carthage. L’emploi de la stéréo-phonie n’a pas été l’une des moindres habiletés du metteur en scène John Gielgud, cependant que la beauté vocale et plastique de Blanche Thebom et de John Vickers justifiait l’irré-sistible et réciproque passion de Didon pour Enée ; enfin la ferveur de Raphaël Kubelik, au pupitre de l’orchestre, déchaînait des flots de tendresse mélodique. Berlioz a peut-être attendu plus de cent ans pour triompher ; mais la gloire est comme le bon vin elle s’améliore en vieillissant. La preuve est faite. Le Festival d’Enghien est chaque année un indispensable terrain d’expérience pour les jeunes chorégraphes. Jean Babilée vient d’y trouver l’occasion de mettre au point l’une de ses plus originales chorégraphies. Mie. que Lifar dans Cinéma ou Skibine dans Prince de désert, le septième art lui a inspiré des séquences où le mirage de l’écran s’associe aux réves du poète et à la technique de la danse. Sans jamais se départir de son style personnel, Babilée évoque par exemple la silhouette de Fred Astaire, tandis qu’évoluent autour de lui les ombres de Pearl White ou de Norma Shearer. Il n’a pas voulu réaliser un ballet d’essence purement dramatique, il n’a pas voulu se contenter d’un ballet acrobatique, comme dans Balance à trois ; il a gardé son humour un peu mélancolique, mais semble parvenu à une complète maîtrise de ses différents moyens d’expression. Il en a fait la synthèse, et, si son ballet fait le tour du monde, ce sera justice. Le concours Marguerite Long-Jacques Thi-baud s’est achevé dans une ambiance sur-chauffée ; et la canicule tout autant que le talent des candidats en était responsable. Les épreuves de violon n’ont pas été favo-rables à nos couleurs. Mais qui pouvait lutter contre la virtuosité et le lyrisme des Russes Boris Goutnikov et Victor Pikaisen ? Le troisième prix est revenu au Britannique Ralph Hohnes. Chez les pianistes la lutte fut plus égale. Le premier prix ne pouvait échapper au Hongrois Peter Frankl ; mais dans cette pléiade de concurrents s’est révélé un jeune artiste français dont l’intelligence, la sensi-hilité font honneur à notre Conservatoire Gabriel Tacchino. Je crois bien que depuis Samson François et Philippe Entremont l’école française n’avait pas produit un artiste aussi total, un sa tant d’autorité à tant de délicatesse. C. B.