habitants de File de Pâques gardent le secret des statues géantes. Leur art grandiose, ne pouvant être détruit. fut annexé, comme leur terre, par les conquérants Mayas. Pour eux, derniers survivants des Olmèques, ils empor-tèrent sur leurs radeaux l’image de leur dieu, celui qui devait les aider à reconstruire la patrie sur une autre terre. Après les incalculables jours de dérive, ils prirent posses-sion de ces îles alors peuplées de Mélanofdes. Vainqueurs des noirs, ils se mélangèrent avec les filles des vaincus, pour transmettre la vie, car seuls les hommes avaient pu quitter le continent, soit que leurs femmes aient été retenues par les Mayas, soit qu’elles n’aient pu supporter les épreuves de la traversée. Les nouveaux insulaires édifièrent parmi les gigantesques éboulis du volcan les derniers temples du Soleil et creusèrent Ems tombeaux dans les abris lm plus escarpés des falaises, s’éloignant ainsi des hommes à qui ils léguaient le testament très pur de leur passage SOF la terre. Ils pouvaient pour-suive leur route vers l’Hayaiki, le Paradis aux sept cieux du bonheur, correspondant aux sept gestes de la création. Pour eux, un cercle figurait E soleil, un carré représen-tait la vie. Ils possédaient des arcs et des flèches. L’arbre à pain, cette manne qu’on ne trouve qu’en Polynésie, constituait la base de leur nourriture, à quoi s’ajoutaient la pêche et la chasse, surtout du cochon sauvage. Ils sculptaient à même le roc et ils bâtissaient. Leurs pyra-mides ne sauraient être comparées à celles d’Égypte, mais la structure en est la même, et les pierres qui les composent, cassées dans la lave, pèsent chacune près d’une tonne Leur croisement avec les femmes noires a donné une race indécise, dont les cheveux sont tantôt lisses et tantôt crépus, le nez fin ouévasé. Ils tenaient l’enfant pour sacré, irresponsable de tout, jusqu’à sa puberté. A douze ans, deux rites lui enseignaient la souffrance la circoncision et le tatouage. Si la tribu était commandée par une femme, celle-ci avait le droit de pendre autant de maris qu’elle avait besoin d’auxiliaires. La polygamie n’était pas autrement admise. Le culte du soleil compor-tait des sacrifices humains. Plusieurs pierres disposées en guillotine montrent encore l’emplacement des immo-lations. Un couteau de bambou tranchait les têtes. J’ai découvert au flanc de la falaise, suspendus par des fils de coco, des crânes enveloppés dans dm mouchoirs de « tapa ». C’étaient les têtes des suppliciés, victimes consentantes, heureuses de retourner plus tôt à la divinité. Au fond de la vallée, l’arête de lave qui semble s’être figée dans le vent a laissé éclater un énorme trou dans sa paroi. Les hommes de l’île ont donné un beau nom à cette ouverture Te Vahine Nao, la passe du désir. Le soleil y darde chaque soir son dernier rayon, embrasant les cercueils dans l’apothéose du couchant. Là, aussi près du ciel qu’il était possible, hissée à une hauteur de quatre cents mètres, se dresse la pirogue de mort de la dernière reine de Fatu-Hiver. La découverte de ce tombeau presque intact, si semblable à ceux qui reposent aux frontières neigeuses de la Cordillère des Andes, me confirmait l’évasion des hommes du Tiki. Dans sa pirogue, sous un couvercle galbé en bois de mei poli, inclinée selon la trajectoire du soleil, repose sous les bandelettes de « tapa » blanc la momie de celle qui fut la dernière reine. Son immense chevelure d’un blond châtain s’étale site un tissu végétal aussi diaphane que le visage de la mort. Contre le cercueil, planté en hommage dans le guano de la grotte, pousse un arbuste de fleurs odorantes. Au-dessus d’elle, un banyan porte comme des fruits les crânes des soixante victimes offertes en sacrifice à la beauté de leur reine et qui la rejoignirent avec vresse dans le bonheur d’Havaiki. Face à la morte, jaillit,i du fond étroit de la coulée, une cascade inter-minable qui résonne dans les massifs de fougères arbores-centes comme un dernier hymne à la vie. On entend là, pour peu qu’on prête l’oreille, l’ancienne mélopée qui s’élevait dans les vallées à l’heure des funérailles et qui est encore un cantique au dieu Soleil : Depuis que nos yeux se sont fermés à jamais, Depuis que notre âme a disparu de notre corps, Jusque dans la mort et très loin au delà, Nous souffrons encore de ne pas t’avoir assez aimé dans [la vie… Ainsirepose pour l’éternité le peuple qui tailla les pierres géantes et qui barra ses vallées de constructions cyclo-péennes sur lesquelles, couverts de leurs chasubles de plumes rouges, tenant au poing l’éventail des généa-logies, les ‘Mètres-rois veent chaque nuit, au son des tambours en peau de requinnai, enseigner les formules d’une cosmogonie insoupçonnable. Parce que la mort était encore un voyage, dès qu’ils la sentaient venir ils faisaient construire une pirogue et se paraient de « tapas », ces merveilleuses toiles blanches qui laissent passer l’air et qui sont faites d’écorce battue. Ils se couronnaient de plumes, ils mettaient à leurs oreilles des boucles en os de cachalot. Et la plus belle fille de la tribu venait danser devant la barque funèbre pour que l’agonisant emportât de la vie une vision de beauté. Que reste-t-il de ces rites et de ces paradis? La splendeur du joue, la transparence des lagons bleus, le parfum des fleurs, la douceur des heures, avec le sourire éblouis-sant de l’enfance. Les enfants sont là, tout petits, à l’échelle des dieux, jetant au passage leurs couronnes de fleurs, éclaboussant l’étranger de leurs jeux d’eau, éveillant les longues plages au galop de leurs montures, nus sur des chevaux nus, inoubliable parabole du bonheur. TEXTE ET PHOTOGRAPHIES DE FRANCIS MAZIERE, Chef de l’Expédition Pacifique-Sud. Après «voir propagé l’enchantement des premiers paradis, Gauguin repose dans le sol de ses rives. Il est mort à Atuone  » dans l’Île de Ilion-Ho«, proche de Eatu-Ilica, et ces syllabes roulent amour de son nom le remous même des mers chaudes.