LE DERNIER PARADIS PAR FRANCIS :11AZ !ÈRE Une heureuse nouvelle : la construction d’un aéroport à Papeete nous permettra bientôt d’aller à Tahiti en fin de semaine! D’ici là, une ligne hebdomadaire effectue les escales suivantes Paris, Athènes, Beyrouth, Karachi, Saigon, Port Darwin, Nouméa et Auckland, d’où l’on atteint les terres de félicité. Assurée sans changement d’appareil, il n’est pas de plus longue ligne au monde (21.600 km.) et nous la doublons d’un voyage dans la légende… 1certains royaumes, il 11 y aura plus qu’un voyage dans la légende. Les avions survolent les îles du Pacifique, les navires sans mâts déversent le bruit de leurs machines sur les rivages des mers du Sud, es la Nouvelle Cythère, décou-verte par M. de Bougainville, risque d’apporter une cruelle déception à ceux qui tentent de s’évader de notre époque dans un monde proche de l’aurore. Car u le dernier paradis se meurt n. selon la phrase désenchantée d’Alain Gerbault. Il y a cependant une chose que notre civili-sation ne saurait étouffer, un miracle perpétuellement renaissant, la lumière des « Ides u, la même lumière qui découvrit ce paradis aux naufragés du Tiki, trente siècles avant nous. Mon métier d’archéologue m’a permis de retracer le fabuleux voyage qui poussa les hommes d’Amazone à la conquête des mers du Sud. Comme eux, aussi malaisé-ment qu’eux, un long parcours à travers les forêts d’Amazonie m’a conduit dans les archipels protégés des siècles, sauvegardés longtemps par la peur qu’inspirait l’énorme océan. pacifique pour Magellan, impitoyable au plus grand nombre des pirogues et des goélettes éventrées sur la myriade des récifs. — Nous sommes venus par la mer. D’autres ont continué le voyage sur la mer, à la poursuite du soleil couchant. Un homme rouge du Tumuc-Humac, un Indien encore libre, parlait ainsi. une nuit, près du feu, dans la forêt étouffante, et j’ignorais alors que cette phrase allait me jeter à mon tour dans la même aventure, à la même recherche séculaire. Vers le soleil couchant… Pourquoi, depuis la civilisation mégalithique des hommes de Quiberon, qui laissèrent sur la presqu’île le témoignage de leur marche dans une allée de menhirs, jusqu’aux hommes des archipels de la Polynésie Orientale, pour-quoi retrouve-t-on partout, sous un fond de culture semblable, l’histoire ou le symbole des migrations qui poussèrent l’humanité d’est en ouest? J’étais déjà persuadé que la majeure partie des îles du Pacifique avaient été peuplées par des tribus venues du continent américain. Avec Thor Heyerdal, j’étais presque le seul àcroi à une pareille hypothèse, combattue par la difficulté même de l’entreprise : huit mille kilo-mètres d’océan et de tempêtes séparent des côtes améri-caines les premiers archipels de Polynésie. La thèse officiellement admise par les pointeurs de la mappe-monde écartait du peuplement de ces fies les populations précolombiennes. Mais la résistance d’Alain Bombard témoignait en faveur de l’hypothèse, et l’exploit du Kon-Tiki, que je considère comme la plus prodigieuse aventure de notre temps, affermit ma conviction. Puisqu’un radeau norvégien aussi rudimentaire que les embarcations millénaires — des troncs de balsa ligaturés avec des fibres d’écorce d’arbre (le mapé) — avait réussi à franchir la même immensité, la navigation précolombienne devenait possible. L’équipage du Kon-Tiki avait eu des prédécesseurs. Il y a quatre mille ans, des Indiens chassés d’Amérique trouvaient à Fatu-//ira (à gauche) le paradis dont ils rêvaient g et qui Rois habité par des noirs. Ils s’y fixèrent. Ci-dessus Biler poli qui servait à aiguiser leurs haches de pierre.