LIVRES PAR P VES GANDON TENDRE ET VIOLENTE ÉLISABETH : rien que la vie. Elisabeth Mazalaigue, très belle jeune fille de dix-neuf ans, pleine de feu, vit avec ses parents, hôteliers à Megève. Flenri Troyat décrit longuement l’existence que mènent, « Aux deux chamois s et sur les pistes, hivernants et skieurs de tout poil. Elisabeth, intrépide sur ses bois, est très entourée, mais son cœur ne bat que lorsque se manifeste un certain Christian Walter, vague professeur, lui aussi épris de sport. L’aimable fille se sent et transir et brûler, jusqu’au moment où elle succombe dans les bras de ce beau garçon, parfaitement amoral. Aussi bien, s’il marque pour elle un goût prononcé, il se refuse catégoriquement au mariage. Par réaction d’orgueil plus que d’honnemté, elle répond aux propositions matrimoniales d’un client de l’hôtel, le compositeur Patrice Monestier. Celui-ci, très amoureux, aux petits soins pour sa jeune femme, l’a emmenée dans sa famille, à Saint-Germain-en-Laye, où le ménage vit avec M.« Monestier mère et la tyrannique aïeule Mazi, de qui dépend le bien-étre général. Elisabeth serait la plus heureuse des femmes, car elle fait la conquête de tout le monde, si elle n’avait la mauvaise idée de revenir en vacances à Megève et d’y reprendre ses relations cou-pables avec Christian. Enceinte de son amant, elle décide de quitter Patrice et se rend en Suisse, où un spécialiste la délivrera de son fruit. Ce roman, de plus de quatre cents pages, constitue le quatrième volume d’une série intitulée les Semailles el les MOLUMIS, et peut, d’ailleurs, se lire indépendamment des autres. Bien plus que les romans naturalistes de l’époque héroïque, il est fondé sur l’esthé-tique de la r tranche de vie u et prêterait à un long débat sur la techniqueromanesque. Henri Troyat s’empare d’un personnage et le suit dans tous les épisodes de son exis-tence. Je ne crois pas qu’on puisse être plus méticuleusement documenté, plus soucieux d’exactitude à la fois dans l’aspect extérieur des êtres et dans leur psychologie courante, plus effacé derrière ses personnages que lui. Comme ces personnages appartiennent à l’humanité quotidienne, l’effet de vérité produit par le récit est proprement saisis-sant. La seule critique à formuler, non sans précaution, à l’égard de cette masse impri-mée où le roman adhère si fortement au réel se référerait à certain canon de l’art qui requiert impérieusement le choix, l’éco-nomie des moyens. Henri Troyat, il faut le dire, ne nous épargne rien. Je sais bien que cette minutie est soumise à un contrôle sévère qui élimine par avance toute erreur dans la composition du tableau. Mais ce tableau, si fidèle qu’il soit, devient parfois pesant. Je pense, par exemple, aux cinquante premières pages du livre sur la vie à Megève, aux détails fournis par l’auteur sur la cuisine et sur la « plonge tt il y a là de la complai-vo sance, le livre est tout près de vous tomber des mains, et ce serait grand dommagr. Henri Troyat ne sera jamais l’écrivain des raccourcis fulgurants, mais dans ce monde de vies sans relief qu’il brasse d’une main souveraine, on souhaiterait qu’il préférât parfois un seul détail révélateur a vingt notations qui éparpillent son propos magis-tral, (Pion, édit.) UNE SI JOLIE PETITE PESTE humour et optimisme. Marcel klithois avait déjà écrit deux romans dont l’accent dégagé, marqué de la plus aimable ironie, annonçait un écrivain de qualité. Une si jolie petite peule (Pierre Horay, édit.) n’a pas la même ambition. L’auteur ne cherche qu’à faire rire, et le titre indique assez que son texte n’est pas écrit au vitriol. Le narrateur raconte sa vie avec Georgie, sa femme, qu’il adore et qu’il lui est à peu près impossible de supporter. Quand je vous aurai dit que, son appartement étant privé de meubles, cette charmante créature se fait acheter un manteau de vison qui endette son mari pour vingt-cinq ans, lorsque vous saurez que le jeune couple achète une Jaguar d’occasion tout à fait inutilisable, simplement pour la faim sta-tionner devant sa porte, et encore que ces tourtereaux, pour ètre meublés par leur famille, ont dû accepter de loger leur grand-mère Paméla, la plus fantaisiste et la plus invivable aïeule du monde, vous aurez déjà quelque idée du ton de l’ouvrage. Ajoutez-y l’étonnante vie de garçon du mari quand sa femme est en vacances à Cannes, les regrets qu’il a de sa « petite peste tt, notez en même temps que ce livre d’humour léger rayonne d’optimisme sous s sans aigreur, et v aurez compris qu’Use si jolie palle pesteous est un roman de bonne compagnie. VOULEZ-VOUS VOYAGER AVEC MOI? le meilleur livre de vacances. Au premier abord, j’avais trouvé insuffisant le titre de l’excellent ouvrage de Jean Fou-gère titre dont je le savais d’ailleurs irres-ponsable, car les éditeurs ont leurs exigences. A la réflexion et après la lecture de cette étincelante suite de chapitres qui promènent le lecteur en Hollande, en Italie, en Grèce, en Irlande, en Yougoslavie, en Norvège, en Espagne, au Portugal, en Turquie, en Angle-terre, en Allemagne, en Suisse et en Belgique, je suis revenu sur ma réserve. Car Jean Fougère n’est pas un voyageur comme les autres : il vous prend réellement par la main et vous oblige à voir par ses yeux. Et quel plaisant compagnon l C’est assurément l’humour qui domine dans ses instantanés d’une surprenante Ms ronflez, mais un humour fondé sur une information précise des événements et des hommes. Non pas qu’il aille chercher dans les livres d’autrui ries motifs d’un pittoresque aussi facile qu’éculé. Il se borne à regarder et à écouter. Et comme il est un observateur-né, sensible à la beauté comme au ridicule, il voit et dit juste, sans jamais élever le ton avec un art aussi discret que sensible, avec aussi tontes les vertus d’un pince-sans-rire toujours en éveil. Il dit quelque part, à propos de Jan Steen, je crois, que les limites de l’humour sont sensibles en littérature. Mais c’est que l’humour est bien plus topique sur un espace restreint. Il suffit de vingt pages à Jean Fougère pour restituer l’atmosphère géné-rale d’un pays. Lisez sa remarquable Nor-vège les notes délicieuses de sa Hollande, sa lumineuse Grèce, son impayable et féroce Yougoslavie. Tout est de la même qualité dans ce livre pimpant, varié, coloré, d’une lecture à la fois excitante et nourris-sante. Quant à la vérité de ses relations, je puis m’en porter garant, puisque j’ai accompagné Fougère aux Baléares, et qu’il m’y a malicieusement mis en scène. Un livre d’une telle qualité, enrichi au surplus de remarquables photographies, ne peut manquer, à la veille des vacances, d’obtenir un grand et mérité succès (Édit. Arthaud). DANS LES PAS DU BOUDDHA : ou le Bouddha vivant. Après Dans les pas de Mahomet, l’admirable collection publiée sous la direction de Francis Ambrière nous donne Dans les pas du Bouddha (Librairie Hachette), avec une présentation de Jean Filliozat et un extraordinaire choix de photographies commentées par Louis Frédéric. Il s’agit d’imposer an lecteur, par l’image, le cadre dans lequel le prince Siddhartha Gautama vécut et voyagea, errant de ville en ville, avant d’être vénéré comme le père du boud-dhisme. La réussite est achevée et même quasi hallucinante. On suit passionnément Çakya-Mouni, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, à travers les paysages et les monu-ments qui perpétuent sa mémoire. PICASSO le peintre révélé. Après son Goya, mn Greco, voire son Einstein, M »‘ Antonina Vallentin pouvait apparaître comme un des mut premiers biographes de ce temps, un de ceux pour qui la biographie est par définition exhaustive, c’est-à-dire qu’elfe révèle tout d’un être t l’anecdote et la vie profonde. Son Picasso (Albin Michel, édit.) accroîtra encore l’estime que les meil-leurs juges avaient déjà conçue pour le sérieux de ses études, l’intelligence algue avec laquelle ses héros se trouvent peu à peu cernés, définis, révélés. Avec un personnage aussi complexe que Picasso, la gageure semblait intenable. Com-ment percer le secret d’un ètre aussi fuyant, d’un artiste que les uns tiennent pour un génie incomparable, les autres, pour un mys-tificateur patenté, et que son succès matériel place dans une sorte d’Olympe nuageux réservé aux peintres milliardaires ? Antonina Vallentin, armée d’une patience d’insecte, a pourtant mené sa tâche à bien dans une souveraine indépendance d’esprit. De l’enfance à Malaga et à la Corogne jusqu’au « rendez-vous des statues », en passant par Barcelone, les premières rencontres à Pans, l’époque bleue, le « Bateau-lavoir », le doua-nier Rousseau, la rencontre d’Apollinaire, les ballets russes, Dada, le surréalisme, l’époque