LE RÉPERTOIRE COMIQUE Ce rire qui s’évente si vite émane cependant d’un très petit nombre de fantoches, toujours les mêmes, différemment agités. Rien n’est plus affligeant que de les voir rangés dans leur tiroir. Songez seulement à la longévité du fanfaron, du mari dupé, du moine paillard, de la gouvernante du curé, de la vieille coquette. Tristan Bernard installe l’Anglais sur la scène au début du siècle. Après la première guerre, André Maurois fait un livre des silences britanniques. Son colonel Bramble, vidé par Mont-martre, gisait exsangue. Et voici qu’il revient rubicond de la seconde guerre, sous l’uniforme du major Thompson. Depuis qu’Abel Hermant a découvert les Américains dansa Les Transatlantiques n, qui n’en a pas tiré parti 7 Clément Vautel était allé chercher un vieux prêtre perclus de rhumatismes, l’abbé Constantin, pour lui faire faire encore un long chemin avant de le diriger sur Clochemerle. Nos nouveaux riches remontent à Turcaret, au brave Monsieur Jourdain. Ainsi de suite, d’âge en âge, l’humanité se transmet ses marionnettes. S’il y eut régression de rire dans l’écrit sous le règne de l’esprit pur — les cygnes ne rient jamais — et sous la vague noire de l’existentialisme, cette régression se fit à l’avantage du dessin, qui n’occupa jamais dans la presse une place plus grande. Malgré l’humour anglais, le burlesque américain et la charge judaique, la caricature française a conservé son trait personnel, gagnant heureusement l’affiche et transformant la publicité. C’est là peut-être l’apport le plus original de notre temps. La satire et le pamphlet, autres formes de la caricature, alignent encore des noms retentissants Céline et Bernanos après Léon Daudet. Le pastiche, de Fourest à Jacques Laurent, se renouvelle sans cesse. En somme, aucune des formes traditionnelles n’a été négligée pour dérider le Français contemporain. Au cinéma, si la critique a maintes fois reproché aux producteurs de laisser les Améri-cains et les Anglais s’emparer d’un héritage qui fut longtemps le bien de Paris, un prodi-gieux comédien : Raimu, Michel Simon, Fernandel ou Bourvil, rétablit régulièrement la balance. Des types ont surgi, sous les traits de Noël-Noël et de Jacques Tati, qui méritent de survivre. Et l’on sait quelle école des mines furent les premiers films de René Clair, même pour les plus grands. Dans le domaine de l’écrit, Alfred Jarry peut revendiquer la postérité la plus riche, avec Apollinaire, Max Jacob, une partie de Cocteau, Roger Vitrac, Bernard Zimmer, Audi-berti, Ionesco, sans oublier le Claudel comique. L’esprit des livres nous a donné le théâtre de Giraudoux et de Jules Romains. Roger Martin du Gard rattrapait la farce ■1111111, CHARLOT. Le vagabond au coeur riche, aux yeux pailletés. le sourire généreux sous la petite moustache ridicule. l’homme gui ne laisse rien après lui, et oui rendre l’humanité meillepouvait ure… M. Chaplin peut vieillir son double a Cage des illusions. paysanne. Edouard Bourdet continuait Becque. Marcel Pagnol est l’héritier d’Alphonse Daudet. Venu du cirque, Marcel Achard a rencontré tour à tour Musset et Feydeau sur son chemin. Feydeau a également appris au meilleur Salacrou à tirer d’une situation dramatique des effets de vaudeville. Jean Anouilh, en créateur indépendant, fait éclater le système de Feydeau. Mais ce système reparaît dans André Roussin. Voilà les filiations majeures. La nouvelle vague a porté aux nues le comique fabuleux de Marcel Aymé, et la dernière trouvaille laissée sur le rivage a la forme d’un o Œuf ». LE HÉROS DES TEMPS MODERNES Cette revue sommaire ne projette pas, reconnaissons-le, un comique tien franc. C’est que nous négligeons, en faveur du rire supérieur, les phénomènes populaires un Jean Rigaux, par exemple. Nous oublions la musique (Messager, Reynaldo Hahn, Christiné, Maurice Yvain, Vincent Scotto, Louiguy), plus nécessaire que l’image et que le livre à la bonne humeur d’une époque. Nous ne portons pas non plus au crédit du rire l’esprit anonyme de Paris, de la province, de chaque confession. Les histoires juives sont aussi fécondes que les histoires marseillaises ; les coups de bec des chansonniers ne valent pas toujours les boutades du passant. Cela dit, je crois que le rire désespéré est caractéristique de notre époque. Il est le produit des circonstances, sans aucun doute, mais on y peut voir aussi l’ouvrage du petit homme qui a fini par dominer notre univers, son comique douloureux, échappé du ghetto, et qui continue de tourner en rond dans un monde contracté. Tout homme qui rit, de nos jours, est plus ou moins tributaire de Charlie Chaplin. Paul LORENZ.