LIVRES PAR YVES GANDON LE MARIAGE DU NAIF un nouvel humour. Paul Guth a, en quatre volumes — le Mariage ,du Naif étant le cinquième —campe un personnage qui est lui-même dans un cycle de métamorphoses imputables non seulement a la vie moderne, mais à la vie tout court. A sa vie propre, aVeC le Mariage du Ndif (Albin Michel, édit.), Paul le futé n’emprunte plus que des éléments accessoires, puisqu’il prend même l’audace de se rajeunir. Comment s’en plaindre, quand nous nous trouvons ainsi avoir affaire à un Paul Guth de vingt-six ans, plus insidieusement naïf que jamais, tout jeune agrégé imbibé de réminiscences classiques et aussi chevelu qu’Absalon ? Donc cet Adonis de Sorbonne, ayant répandu la terreur chez les époux rouennais, a été nommé professeur à Paris et songe à faire une fin. Son père voudrait le marier, il n’y est pas opposé lui-même, es, dégoûté des petitesannonces matrimoniales, découvre fInstitut du Mariage, grâce à quoi l’union légale de l’homme et de la femme est obtenue avec mutes les garanties d’harmonie parfaite, c’est-à-dire physique, intellectuelle et morale. Il s’inscrit d’enthousiasme à cet organisme d’un caractère hautement scientifique et ins-piré des techniques les plus modernes. Pou 12.000 francs — tarif forfaitaire — il sera soumis à une étude « psycho-morphologique », passera par une série de tests et, après avoir répondu à de nombreux questionnaires, sera fixé tout vif, comme ue papillon, sur une fiche qui déterminera sa « typologie » sel. Jung. Après quoi, un système de cartes per-forées permettra de découvrir la femme qui correspond le mieux à sa nature définie au millième de millimètre. Ainsi lui sont pro-posées neuf femmes portant des numéros d’ordre. Il éprouve successivement la 5345, la 7358 et la 6212, plus la secrétaire même de l’Institut. Tout cela est d’une extrême cocasserie, et si le Naïf refuse en définitive de prendre femme, nous compre-nons bien que ce n’est que partie remise. Le Mariage du Naïf relève de la même for- mule que le Naïf Locataire, et il se pourrait fort que Paul Guth fût en passe d’imposer une nouvelle sorte d’humour, fondée sur une vision à la fois poétique et burlesque du monde. Mais les imitateurs auront du fil à retordre. N’est pas Paul Guth qui veut. LA FONTAINE DES INNOCENTS : retour à la psychologie. Petit à petit,.00 une dix titi.titst excessive et sans concession à un public trop disposé à répondre aux clins d’yeux d’une publicité de mauvais aloi, Jean Guirec a édifié une œuvre romanesque importante et pleine de résonances. La Fontaine des Innocents (Albin Michel, édit.) se trouve être ainsi son seizième roman et probablement l’un des meilleurs. Il a pour premier mérite de se référer à ce qu’on appelle une brûlante actualité. Bien que le mot ne soit pas prononcé, il tourne autour du drame de Dien-Bien-Phu. Un « taupin » apprend que son père, le colonel Coudert, vient de mourir glorieusement à la tête d’une colonne qui allait secourir un ouvrage du camp fortifié. Bernard, c’est le prénom du taupin, aime Odile, fille du ministre Jacques Deschamps, dont les rela-tions avec la très séduisante veuve du colonel font jaser dans certains milieux. On chuchote même que le colonel aurait été envoyé au feu par ramant de sa femme. Le draine se compliquera par la mors subite du ministre, donr Odile surprendra le secret. Les deux jeunes gens se marieront dans l’intimité, l’un et l’autre pareillement épris d’un style de vie où la compromission n’aura point de part. Un résumé aussi bref ne tient pas compte d’un développement fertile en implications psycho-logiques d’une grande finesse et d’un pathé-tique très sûr. Non seulement parents et grands-parents de Bernard et d’Odile sont silhouettés d’une main ferme, mais toute la tragédie d’une jeunesse y est marquée et la Fontaine des Innocents se recommande à rattention du lecteur par des accents propm-ment cornéliens. Bernard fait penser à Rodrigue, et Odile à Chimène. Voilà qui est assez rare dans le roman d’aujourd’hui. Voilà aussi qui devrait lui valoir une audience éritée. A l’égard de la technique romanesque, c’est à un écrivain fort injustement oublié, à Edouard Estaunié, que fait le plus penser la Fontaine des Innocents; page 246, l’auteur cite les Choses noient. La vérité, c’est que Jean Guirec voit surtout dans les murs. Le roman psychologique, assez dédaigné à notre époque où la brutalité de l’aveu tient le plus servent lieu d’introspection rigoureuse, va-t-il, grâce à lui, revenir en faveur ? 011 a le droit de le souhaiter. LA FEMME PARFAITE ET QUELQUES AUTRES : études de femmes. Quatre récits désinvoltes, mais riches d’expé-rience humaine, composent la matière de ce livre, d’une cruauté saisissante. Paul Bourget les eût appelés des « études de femmes », M. Emile Henriot, en le rangeant sous le titre de la première d’entre elles la Femme parfaite (La Palatine, édit.), n’en fait que mieux ressortir sa lucidité ironique. Voici une certaine Edwige que son mari tient pour parfaire. Elle l’est, d’ailleurs, mais à force de se l’entendre dire, en prend de l’humeur et trompe son mari avec un inconnu « pour voir ». Ensuite, elle avoue sa faute ; l’époux est fou de rage, puis elle lui annonce qu’elle a menti, qu’elle est restée fidèle, et il la croit. La seconde héroïne, Nelly, est une délicieuse jeune fille de seize ans. Son père, sa mère, ses frères pensent à elle et parlent d’elle avec admiration. Fauteur tourne et retourne sous nos yeux cettemerveille. L’ennui est qu’elle n’existe pas, qu’elle n’a jamais existé ailleurs que dans la rêverie des siens. La Femme du puits, troisième récit du livre, Meut pas moins amer, puisqu’il incarne la vérité moins douce que l’illusion ; et le quatrième, qui fait un peu penser à un dialogue de Fontenelle, conclut dans un sourire que « les copies apparaîtront toujours plus vraies que les modèles dont elles ont été tirées ». Au total, un livre tour à tour féroce et tendre, à placer sur le rayon de ceux auxquels on revient quand la vie vous blesse et aussi quand elle vous semble trop facile. LES GRANDES HEURES DE LYON pour le bimillénaire. De grandes fêtes célébreront en 1958 le bimillénaire de la ville de Lyon. A cette occasion, M. Jean Duché a eu l’heureuse idée de conter les Grandes Heures de Lyon (Amiot-Dumont, édit.), dans un volume pré-senté avec soin, enrichi de nombreuses repro-ductions, de précieux documents et d’une préface d’Edouard Herriot, une des dernières qu’ait écrites le feu maire de la ville. « Paris ne puis-je… mais Lyon suis, écrivait l’homme d’Etat… et Lyon devenue la ville des arche-vêques et de la Commune, des Foires es de r Humanisme et toujours farouchement atta• chée à ses libertés… » Ce rapide survol de l’histoire lyonnaise se lit avec agrément. De. saint Irénée et de sainte Blandine au gui-gnol local, tout ce qui compte est dit ou indiqué avec élégance et gentillesse. Y. G. DANS L’ÉDITION ■ Parmi les livres d’art récemment parus, une mention particulière revient au trés bel ouvrage Visages de l’Amour dans lotisse de Paul Claudel, orné de dessins originaux d’Émilienne Milani et édite par Le Porte Bleue (Cercle bibliophile de Paris). La pureté et la noblesse des compositions réalisées par l’artiste s’allient à celles de la typographie de Raymond Jacquet. ■ L’année 1957 étant celle du deuxième centenaire du général de La Fayette, il est opportun de signaler a nos lecteurs l’ouvrage que le comte Antoine de Bouillé a publié dernièrement sous le titre Coldniller de Charles VII, le inarérbal de La Fayette. Ce livre contient de précieuses données sur la famille de La Fayette et singulièrement sur Gilbert de La Fayette et la Seigneurie de Pontgibatid, qui fut la résidence de cette famille jusqu’en 1588. (Imprimerie Andin, Lyon.) ■ Beacjobris (Éditions de la Baconnière à Neuchâtel) est un très bel album de photo-graphies dues à Robert Moisy et commentées par Louis Griset. One longue préface de notre collaborateur Yves Gandnn exalte les charmes, les richesses et l’histoire d’une région de France dont le nom est sur toutes les tables. ■ Lucienne Sachs-Favard a présenté au cours d’une réunion au Cercle de la France d’outre-mer son ouvra ge intitulé : Petits Métiers marocains, tiré à zoo exemplaires (Mourlot Frères, édit.) et qui comprend trente planches de l’auteur, reproduites en lithographie, ainsi que des commentaires calligraphiés. 75