Les grandes villes, pour aller respirer à la campagne, ont le pied lourd. La vallée de Chevreuse le sait bien. On y a bâti çà et là des villas sans style et des usines oppri-mantes. Il ne faut pas, pour rejoindre la vallée, sortir de Paris par Malakoff et le Petit-Clamart, car c’est se condamner à la misère des banlieues modernes et c’est approcher, à Saclay, de ce domaine atomique qui se garde des indiscrétions par des barbelés. Les solitaires de Port-Royal, ce sont aujourd’hui les savants, les ingé-nieurs penchés sur les cornues qui feront sauter le monde. Leur recherche, opérée dans des couvents de béton, renou-velle le plus rigoureux des jansénismes. Qu’est-ce que la terre ? un grain d’atome, et tout est dit. Vanité des vanités… Prenons l’autre porte, eroyez-moi, celle qui, par Massy et Verrière, conduit à Palaiseau. Nous y rencontrerons au moins, chemin faisant, le souvenir de George Sand, et à Orsay nous rejoindrons l’Yvette, qui tiendrait dans le creux de la main. Nous sommes sur la bonne route. Entre tant de maisons qui furent charmantes et de « pavillons » qui veulent l’être, sur de légers vallons ou sur les plateaux qui les bordent, nous découvrirons bientôt dans cette vallée de Chevreuse les châteaux qui la dominèrent et l’enchantèrent. Corbeville, d’abord, et son beau pare. Mais allons tout de suite an plus évocateur, à celui qui a conservé ses atours et maintient le souvenir de Cyrano enfant. De Cyrano ? Oui. De Bergerac? Non. Il faut bien le dire : il n’était pas de Bergerac, mais de Paris. Rostand en convenait, mais que voulez-vous qu’il y fit ? Son cœur marseillais avait poétisé cette annexion gasconne. Bergerac était né à Paris, comme Molière et, plus tard, Beaumar-chais, comme Sedaine, Musset, comme Becque y devaient naître, comme tous les auteurs dramatiques ; né à Paris, rue des Deux-Portes, aujourd’hui rue Dussoubs, paroisse de Saint-Sauveur: o Le 6° ele mars 1619, Sabinien, fils d’Abel de Cyrano, escuier, sieur de Mauvières, et de Damoiselle Espérance de Bellanger ; le parrain, noble h02,111,0 Antoine Fanny, conseiller du Roi et auditeur en sa chambre des comptes, de celte paraisse; la marraine, damoiselle femme de noble homme Maitre Louis Perret… » Cela continue sur ce ton cérémonieux qui fait un peu défaut aux états civils d’aujourd’hui. Il n’y a pas de doute Cyrano est Parisien. Mais pourquoi ce nom de Bergerac ? Parce qu’un de ses oncles, Abel, l’avait pris d’une petite terre appelée Bergerac et située près de Chevreuse, entre Jagny et Choisel, et qui avait été donnée à la famille de Cyrano ainsi que la terre de Mauvières par Chan es de Lorraine, duc de Chevreuse. En 1626, le jeune Cyrano vivait avec son père dans ce château, et c’est là qu’un curé des environs vint le chercher pour le prendre et l’éduquer. Mauvières lui plaisait l’école du curé lui plut moins, mais il s’y fit un ami, le jeune Henry Le Bret — « Voilà Le Brel qui grogne!… » — dont les parents habitaient Le Mesnil-Saint-Denis. Les leçons du curé étaient parfois austères, les conseils de l’Yvette et de ses eaux diamantées l’étaient moins. Comment s’arrêter à Mauvières sans penser à Cyrano et le restituer à cette vallée heureuse ? Pardon, Bergerac… L’histoire et les souvenirs ont l’aile légère : passons d’un château à l’autre et nous arrivons à une abbaye celle de GU. Cette abbaye bénédictine était en ruine. Une femme de tête, m- Adam, qui devait vivre près d’un siècle, la ressuscita et y invita tous les artistes qu’elle admirait et dont, souvent, elle avait pressenti le talent. Sur la page de gauche : tout ce qui reste de l’abbaye de Port-Royal, foyer du jansénisme: une base de pilier rongée par le temps contraste étrangement avec les constructions inaccessibles de Saclay, domaine de l’avenir (ci-dessus). Les dimanches de Gif furent un des rendez-vous acha-landés des vingt dernières années du xix° siècle. Juliette Adam, en robe de dentelle blanche, y recevait avec une urbanité autoritaire Maupassant, Paul Bourget et Pierre Loti, auxquels elle avait, dans sa Nouvelle Brosse, offert l’occasion de révéler leurs dons. Elle pouvait leur parler de leurs aînés, de Gustave Flaubert, de Mn » Sand, dont elle avait été l’amie, et, bientôt, leur présenter leurs cadets, dont Léon Daudet était le plus turbulent et l’un des mieux doués. Lorsque le temps fut venu des Mémoires, 11″` Adam, comme une ancêtre, put rassembler dans ses Souvenirs les pèlerins de Gif. Ils n’avaient pas tous eu le même talent. Du moins n’étaient-ils pas insignifiants, et ont-ils porté sous les vieilles pierres de cette abbaye des espérances dont aujourd’hui on cherche vainement les reflets lorsqu’on en fait le pèlerinage. Et puis il y a les demeures que nul objectif ne saisira plus et dont nous ne pouvons rien faire de mieux que d’en ressusciter les ombres. Ainsi le château de Saint-Remy-lez-Chevreuse, détruit il y a quelques années, qui fut un joyau, un lieu charmant construit dans le voisi-