LES LIVRES PRIX LITTÉRAIRES es prix littéraires de décembre ne nous ont apporté aucune révélation. J’avais signalé, dès le mois dernier, le Weelc-End à Zuydcoote (Gallimard, édit.), de M. Robert Merle, qui a obtenu le prix Goncourt, et n’ai point à y revenir. Je rappellerai seulement qu’il ne s’agit pas là d’un roman, mais d’une sorte de reportage romancé. Il est donc difficile de juger non seulement si M. Merle apportera au roman une contribution valable, mais si même il sera romancier. Nous savons, en tout et pour tout, qu’il n’a rien d’un styliste et que son origi-nalité reste à établir. Il sait voir, mais il donne dans les godons à la mode, et son invention n’est pas relevée. Il en va tout autrement de M. Louis Guilloux, lauréat du prix Théophraste-Renaudot avec les 811 pages de son Jeu de patience (Gallimard, édit.). Louis Guilloux possède déjà à son actif une dizaine d’ouvrages, et son Sang noir eût obtenu le prix Goncourt en 1936 si les Dix étaient plus souvent capables de distinguer le vrai mérite. Voilà un écrivain qui a quelque chose à dire. Il en a même tant à dire qu’il lui arrive de se perdre dans une matière trop riche. Il faut beaucoup de temps et d’attention pour le suivre dans cette immense chronique, dont le principal défaut est l’indifférence totale à une des règles essentielles de l’ceuvre d’art, je veux dire la composition. Car Louis Guilloux ne compose pas son récit commence en 1947, se poursuit en 1943, puis en 1942, puis en 1936. Il saute à travers les époques, les personnages, les anecdotes, fait un écart à droite, un autre à gauche. Il a décidé de raconter tout ce qu’il a vu, entendu, senti à Saint-Brieuc, où il habite, dans l’espace de plus d’un quart de siècle. Cela va de l’occupation à la guerre d’Espagne, de la présidence de Poincaré au Front populaire, ses héros sont innombrables et son débit intarissable. Un peu uniforme aussi. Louis Guilloux ne se soucie aucunement des effets de style. Il écrit même un peu gris. Et cependant il est un écrivain de race. Pourquoi ? Parce qu’il est convaincu, parce qu’il a la foi, une foi invincible, indéracinable dans l’homme. Un des personnages les plus proches de son cœur, l’Espa-gnol Pablo, répète comme un leitmotiv <■ Ah ! si on laissait vivre !... Mais on ne laisse pas vivre !... o Nous touchons ici au secret de Louis Guilloux. Il voudrait pour tous les hommes une vie véritablement humaine, et de voir le Inonde tel qu'il est, inique et cruel, le pousse aux saintes colères. Alors il raconte les malheurs de l'espèce, l'histoire de la mystérieuse Momonne, celle de Pablo, celle de Marcel Laisné, d'autres encore. Il les raconte sur le ton le plus uni, en témoin sincère, avec attendrissement, avec amour. Je suis presque sûr de lui faire plaisir en disant que son livre se situe en dehors ou, si vous voulez, au-dessus de la littérature. C'est foncièrement le livre d'un honnête homme, d'un apôtre laïque, à qui l'on a envie de serrer la main. Le prix Femina est allé à la Dame de cœur (Corréa, édit.), de Mme Maria Le Hardouin. Les précédents romans de cet auteur, la Voile noire, l'Etoile Absinthe, étaient mal écrits, mais curieux. On y sentait une recherche tour-mentée et parfois biscornue, une sorte de fièvre de l'esprit. Je regrette d'avoir à déclarer aujourd'hui que la Dame de cœur marque une régression sensible dans sa manière. L'intrigue, d'abord, est d'un faible intérêt, marquée au coin d'un romantisme éventé. Ces deux sœurs, vivant dans un château qui évoque d'assez loin les rêveries de l'Alain-Fournier du Grand Meaulnes, sont tracées d'un trait bien flou. Que la plus jeune, tuber-culeuse comme il convient, tombe amoureuse, dès le premier jour, du mari de sa sœur, don Juan terriblement vulgaire et conventionnel, et que la pauvre en meure, voilà qui ne parvient pas à nous émouvoir. C'est que Mme Maria Le Hardouin ne pouvait sauver sa fable que par la transparence du récit et la fermeté du style. Mais la maladresse de la narration et la rocailleuse aridité de la langue fatiguent et découragent le lecteur de bonne volonté. Les Vignes de novembre (Pion, édit.), d'Henri Cour-mont, nous transportent dans la campagne blésoise, et proprement dans le vignoble du Cher. Trois générations se succèdent sur le même terroir, y dépensent leur sueur, y aiment et y souffrent. On pourrait croire à une ironie de la part de M. Jacques Chastenet plaçant en surtitre à sa France de M. Fallières (Arthème Fayard, édit.) une. Époque pathétique. Y eut-il en effet époque plus calme et plus heureuse? La France était pacifique, la France était riche. Sans doute. Et pourtant M. Chastenet a raison les années du septennat Fallières ont a le pathétique des destins manqués o. Un bonheur qui jette ses derniers feux émeut de l'immi-nence de sa fin. Tous les aspects de ce temps facile, et aujourd'hui si loin de nous, revivent sous la plume alerte de l'historien. De la politique extérieure à la vie la plus quotidienne, le dossier est complet. C'est le livre des mélancolies. Pour terminer sur la bonne bouche, je recommanderai aux amateurs de haut style le Chemin de la croix des grandes heures de Ribeaupierre (Henri Lef èbvre, édit.), par Jean Variot. La tradition veut qu'à son retour de la quatrième croisade, Maximin Il de Ribeaupierre, ayant placé sur sa colline un chemin de croix dont toutes les statues étaient de grandeur d'homme, ces statues se mettaient à parler dans la journée du vendredi saint. Jean Variot s'est attaché à reconstituer leurs paroles, et son livre, où une imagination puissante est animée par la foi, soutenue par. le plus grand de tous les sujets, atteint au sublime comme sans effort. Le jaillissement des images, la spontanéité de l'accent font penser, presque à chaque page, à l'ingénuité divine des meilleurs textes médiévaux, dégagés de leur prolixité. Pas un mot de trop dans ces quinze stations de douleur et d'espoir, une infaillible justesse de ton. Sans perdre une minute, allez réclamer à votre libraire le Chemin de croix, de Jean Variot. YVES GANOON. No avions signalé à nos lecteurs, en décembre 1947, unouvrage de Léon Muent, bdtonnier de l'Ordre des avocats à Dunkerque intitulé Traditions. Ce même auteur, que son muer amène soupeser des thèses d'apparence contraires, à rechercher a l'envers du décor », traite dansa on nouveau livre de la Révolution. Il en analyse avec humour les interprétations diverses suivant les puys. les époques et défend ainsi encore la tradition (Éditions Inter-National.). La librairie Pion vient d'éditer un très bel album sur les fresques de Pierro della Francesca à Arezzo, dont le texte a été confié à Jean-Louis Vaudoyer. Ce grand ami de l'Italie y fait une analyse de cette œuvre magistrale du peintre, l'Invention de le Sainte-Croix. Aux Éditions d'Art et d'Histoire vient de parattre, sous le titre Châteaux de Normandie, un recueil de monographies de belles demeures dues à l'érudition d'Henry Soulange-Bodin. -- N. D. L. R. PLAISIR DE FRANCE