Progrès ? Peut-être. Pas assurément. Si le domestique a, fort heureusement, acquis des droits, le maître a perdu le sens de ses devoirs, et la pensée lui est désormais assez étrangère qu’en embauchant un valet ou une bonne il assume en même temps charge d’âme. De cette semi-indifférence le signe matériel se trouve dans cet « étage des domestiques », cet affreux « sixième », apparu en même temps que les immeubles à appartements. Jusqu’à une époque toute récente cet étage déshérité était sans lumière, sans eau courante, presque sans air (scandale des vasistas e à tabatière »). Un peu de confort commence d’apparaître, encore bien insuffisant, mais la ségrégation d’avec la famille demeure et demeure aussi, pour l’ensemble du personnel domestique d’un même immeuble, une assez triste promiscuité. Évolution des mœurs, réduction des fortunes, progrès de la mécanisation, tout cela tend invinciblement à réduire le nombre des gens de maison. Dans la France de 1906 on en comptait encore neuf cent quarante-six mille, dont cent soixante-dix mille hommes et sept cent soixante mille femmes. Sans doute ces chiffres devraient-ils être aujourd’hui amputés d’un bon tiers. Tomberont-ils à zéro ? On en peut douter : un ingénieur, un médecin, un homme d’affaires occupés n’auront jamais le loisir de faire eux-mêmes leur ménage et, dans la mesure même où les femmes de la bourgeoisie s’accoutument à exercer un métier, la nécessité d’avoir quelqu’un qui veille à leur place aux enfants et au fourneau se fait pour elles inéluctable. Pure application de la loi de division du travail. On ne saurait la transgresser sans dommage pour la société tout entière. Mais une adaptation s’impose. Livrées armoriées, gilets rayés, perruques poudrées, voire petits bonnets tuyautés tendent à rejoindre, au musée du Costume, la cape bariolée de Frontin et la houppe noire de Dame Pluche. On ne les rencontre plus guère en France qu’à l’Élysée, dans les ambassades et dans quelques rares hôtels particuliers. (C’est d’ailleurs dommage pour le pittoresque.) Plus utilement devraient disparaître ces taudis dans lesquels gîtent encore trop de domestiques et plus utilement aussi le sentiment subsistant au cœur de trop de maîtres que leurs serviteurs ne sont point de la même race qu’eux. Ce n’est que si les domestiques viennent à être réintroduits à leur antique place — au foyer — qu’une chance existera de surmonter cette « crise des gens de maison s qui ne constitue pas seulement un sujet de conversation pour dames en visites, mais traduit aussi un malaise social : Dorine tenant tête à Orgon, cela est autrement gaillard et autrement sain que deux indifférents manœuvrant à l’ombre l’un de l’autre sans jamais se regarder en face. Aujourd’hyi… 32 JACQUES CHASTENET, de l’Institut. Dessins de Rêg anset. ri PLAISIR DE FRA