ANDRÉ ARBUS Annan Aunes me semble appartenir cette catégorie de notre espèce qui répond au nom heureux — de nos jours presque oublié — d’humaniste. Il n’est pas arrêté dans une seule branche d’activité ; ses dispo-sitions diverses se soutiennent, et au motif plus précis de sa vocation il ajoute les apports de domaines voisins; alors chaque objet, dépassant son terme matériel, se pare de charme spirituel. De l’amalgame des conditions créa-trices détachons d’abord l’élément de base de toute exécution, c’est-à-dire la science du métier. André Arbus reçut une formation d’ébéniste à Toulouse, dans l’atelier où son père et son grand-père s’instruisirent sous la conduite de l’aïeul, le premier de la lignée des Arbus ébénistes, celui qui obtint son grade de maître ouvrier après avoir comme e compagnon o effectué son tour de France. Lorsque notre auteur s’établit à Paris, en 1932, il possédait la compétence artisanale indispensable à l’élaboration et le contrôle des desseins de l’imagination. En 1933 il obtint le prix Blumenthal de la décoration. Nouveau venu dans la capitale, il constatait la vogue du e rationalisme o ; éprouvant que ce genre pratiqué avec fanatisme ne pouvait aboutir qu’à la stérilisation de l’art du meuble, il décida de ne pas s’engager dans une mode contraire aux belles règles de la construction. Brusquement Arbus reçut la révélation des purs assemblages, et cette lumière lui vint du sentiment de l’architecture, qui lui est naturel. Dès lors ses couvres reçurent un pouvoir de sérénité et un air de grande dis-tinction. Les pièces très précieuses et robustes, comme établies par un architecte maître de l’oeuvre, sont logi-queMent pourvues (je parle plus précisément des meubles d’appui) du soubassement, de la façade, de • l’entable-ment, des ornements de sculpture, de peinture qui rehaus-sent l’éloquence des volumes d’ébénisterie. Cette façon de concevoir un meuble conquit le public, car on vit que les arguments du confort de l’âme complé-taient les commodités du confort physique. Rapidement s’amorça le mouvement qui fit oublier le plus irrationnel des e rationalismes o.. Des modèles d’Arbus naquit un style, et maints jeunes décorateurs, depuis quelques années, contribuent par leurs variantes à le répandre. Je connus André Arbus au départ de son évolution décisive, et depuis je provoquai souvent nos rencontres. Par la curiosité intellectuelle de toutes choses, la vivacité de ses vues, Arbus atteint â cette qualité universelle de l’entendement. C’est la raison qui se révèle, en défini-tive, son caractère prépondérant, une raison remuante en quête des solutions de beauté. Le mélange de logique et de verve délicate situe Arbus dans la famille des classiques français. Il ne projette pas un retour tactique vers l’époque décorative du xviae siècle, mais, héritier des vertus d’une illustre lignée, il tente, avec sa pensée originale et ses moyens d’homme du une siècle, d’assurer la continuité de leur 16 ouvrage, lequel, aussi bien, se référait à d’antiques recommandations. Il faut bien s’en convaincre, la Tradi-tion n’est pas une invention des hommes ; elle existe, s’impose et conduit leur destin en dehors de toute volonté. Ayant pensé la structure de ses meubles en architecte, Arbus devait adapter sa faculté dominante à de plus vastes plans et, tout en poursuivant ses travaux d’ébé-niste, il avança dans la construction des édifices. Le même goût de la mesure classique forma l’ordonnance des thèmes nouveaux. Ses premières œuvres furent la Maison de la- famille française, â l’Exposition de 1937, et un palais dressé au Salon des Artistes décorateurs (1939). En 1942 il construisit, avec la collaboration de Lucien Rollin, plusieurs mas dans les prairies de la Crau ; ces demeures paysannes, de proportions nettes et élégantes, expriment le charme âpre de la Provence. Les travaux d’un chantier grandiose retiennent aujourd’hui ses soins. Sur l’îlot du Planier, dangereux piton émergeant à 15 milles de Marseille, s’élè-vera en pierre de Cassis le phare le plus puissant de la Méditerranée. André Arbus en est le maitre d’reuvre. La tour portant le signal lumineux a l’aspect d’une colonne géante. Auprès, étendu sur l’îlot, le bâtiment des gardiens expose sa façade marine aux lourds bossages. La plus récente information sur l’activité d’Arbus garde l’accent maritime. Après le phare, le navire. Arbus est requis comme architecte et décorateur d’un grand Le nouveau phare du Planier, conçu par André Artois. Ce noble monument sera le premier témoignage du génie ‘sauçais que les voyageurs apercevront avant d’aborder Marseille.