presque générale on offre le premier rôle à qui ne sait pas encore articuler. «Aucune importance ! Une semaine avant le film, allez prendre trois leçons chez un professeur…» Éblouis par quelques succès sans lendemain, les jeunes gens arrivent en foule. Mais combien sont prêts à accepter ce long apprentissage sans lequel le métier de comédien perd sa vraie richesse et sa vraie beauté ? Tel est le drame. 2° Bien sûr, une sélection ! Elle doit être effectuée par les gens en place ; mais ceux-ci, trop souvent, ne savent pas ou n’osent pas… La question de l’accent doit être aisément résolue par les professeurs : dans ce domaine, aucun défaut qui ne soit provisoire, réductible. Mais il faut du courage… et le courage manque souvent ! Seule la vulgarité est rédhibitoire, surtout en ce qui concerne le recrutement de la Comédie-Française ; cette vulgarité qui n’est pas nécessairement l’apanage des classes dites modestes ! le La vocation est très répandue. Le tempérament est extrêmement rare. L’afflux des candidats est très regrettable. 2° La sélection est un sentiment qui n’a plus court à notre époque, mais l’accent « parigot n, lui, est de plus en plus répandu sur nos beaux textes classiques, c’est vrai ! Que faire ! Les professeurs eux-mêmes ont cet accent. Alors ! Créer un conservatoire de professeurs ? Jean Vilar. Pierre Bertin. 10 Je ne pense pas qu’il y ait, à l’heure actuelle, un plus grand nombre de candidats au métier de comédien qu’à celui de pilote de l’air, de capitaine de navire ou de chef de laboratoire. Et nous ne dirions pas qu’il y a « afflux n de candidats si nous avions plus de théâtres, plus de navires, plus de laboratoires, n’est-ce pas ? Parce que nous sommes encore démunis, allons-nous interdire à nos frères cadets le libre exercice de leur imagination, de leurs désirs ? Le théâtre excite souvent des instincts assez bas ; du moins, beaucoup l’affirment. Mais si certains de ces enfants prodigues sont des amateurs de publicité, par exemple, d’autres sont désireux de gloire. Le juge peut se tromper et confondre le « gloriosus » et Raimu. Pourquoi réclamer une sélection ? Comment ? et, ceci est important par qui serait-elle faite ? Pourquoi, parce que frères aînés, aurions-nous le droit de décider de la vocation de ce garçon ou de cette fille ? Allons-nous instaurer l’orientation profes-sionnelle dans les arts ? La vie jouera toujours immanquablement ce jeu. Et elle conclut assez vite. Il ne faut pas oublier, d’autre part, qu’il n’est pas toujours facile de décider de l’avenir d’un candidat ou d’un débutant. (Par contre, il est très facile de juger de la sottise de certains jurés). Allons-nous condamner au silence les Jouvet et les Dullin de vingt ans ? Personnellement, je n’ai jamais eu à regretter d’avoir employé des êtres jeunes, fût-ce dans des rôles importants. Le mot de Craig est toujours valable : « Faites confiance à la jeunesse o. Et il l’est plus encore, quand on est soi-même encore jeune. 25 Une sélection rigoureuse ? Non. Ce n’est pas à ce sujet qu’il faut user des méthodes spartiates. Et Degas disant : « il put décourager les arts s cède plus à l’hypocondrie qu’à la justice. Il me semble, si je regarde autour de moi, que la vie joue ce jeu de la sélection et du massacre avec suffisamment d’intransigeance. La sélection à la base, ne pensez pas qu’elle accentuera la qualité des interprétations. Tel talent de vingt ans ou de vingt-cinq ans n’est souvent que le fantôme de ce qu’il fut, l’âge d’homme étant venu. S’il y a vulgarité sur le plateau, prenons d’abord à partie le directeur, le metteur en scène ou l’auteur. Il y a à Paris et en province un nombre considérable de comédiens qui ont du style, de la tenue et le respect de leur métier. Mais ils ont aussi, fussent-ils des petits rôles, une certaine dignité. J’en connais qui préfèrent travailler à leur jardin potager et subvenir ainsi à leurs modestes exigences, plutôt que de jouer dans des théâtres où le directeur leur chicane 50 francs, où les loges sont des repaires à punaises, le répertoire, une sottise. Un comédien qui, par sa vulgarité, selon votre expression, trahit son personnage ne doit plus remonter sur le plateau. Mais il arrive souvent que ce comédien (ou cette comédienne) est particulièrement protégé par la directrice ou le directeur… Cela est, comme vous savez, commun à bien des métiers. Aussi bien, sourions-en. Et n’allons pas en ces théâtres. LAISIR DE FRANCE 11