Ce métier d’exception exige un tempérament d’excep-Don, une vocation au moins aussi forte que celle de moine ou de marin. Ces vocations existent, peu nombreuses, et sont la gloire de notre art dramatique un Copeau, tœ Jouvet, un Dullin, un Barrault ne pouvaient être que comédiens t mieux, hommes de théâtre. Ceux-là — et plusieurs autres — avaient quelque chose à dire et l’ont dit. Depuis la guerre surtout, des centaines de garçons et de filles, généralement à court d’études, découvrant la vie à travers certaine littérature, ont jugé plus facile de suivre les cours de comédie que ceux de l’Université. Séduits par le mirage des gros cachets dit «Linéma tt, hantés par les exemples de célébrité rapide, ils ont rejeté l’obscur travail de bureau ou d’atelier avec con fastidieux horaire et les appointements fixes lentement progressifs. Leur total affranchissement de ces routines s’est exprimé • par un costume soigneusement désordonné, une chevelure en broussaille t et cette troupe en lutte contre la société a établi son bivouac dans quelques cafés spécialisés. LES VRAIES VOCATIONS ET LES AUTRES On dit qu’ils sont actuellement à Paris mille à mille cinq cents. La moitié à peine est assidue aux cours t le reste fait semblant ; cent tout au plus ont la vocation de comédien. Les autres serviraient Miel. leur pays en étant Cultivateurs ou secrétaires, pharmaciens ou hôtesses de l’air, mais il leur faudrait se plier à une discipline, apprendre un métier, et c’est cela qui les ennuie. L’élite, qui, elle au moins, vise au Conservatoire, doit savoir que pour quatre cent cinquante candidats il y aura chaque année une vingtaine de places et que les lauréats auront à se partager environ deux « premiers prix », deux « seconds prix » et hu0 accessits, soit douze récompenses finales. Et encore voit-on assez souvent des « premiers prix » dont la carrière avorte. Ce flot de velléitaires ira donc grossir la masse des comédiens inscrits à l’Union des Artistes qui dépasse cinq mille cinq cents dont 10 % jouent (de temps en temps) et grossir aussi le nombre des détresses causées par un funeste encombrement de la profession. Et ce sera la course aux rôles, la file d’attente devant le porte des directeurs, les auditions troublantes, les rebuts agacés, les manœuvres diverses… L’ÉLASTICITÉ DES GAINS Au théâtre, tel apprenti réussira à décrocher une figuration à 635 francs par soirée: tel autre, un petit rôle à 800 francs ; au bout du mois cela lui fera 24.000 francs mais combien de mois se jouera la pièce ? Et il faudra tout recommencer ! Lecinéma — miroir aux alouettes — plus aléatoire encore, offrira son minimum syndical de 4.000 francs par cachet ou 12.000 francs par semaine. Au regard des gains extravagants des premiers rôles de cinéma (des millions pour un film), les cachets du théâtre sont généralement faibles. Un comédien célèbre qui joue actuellement le rôle principal dans une pièce en vogue gagne 15.000 francs par soirée. Il est vrai qu’une comédienne se voit adjuger 30 % de la recette totale, formule plus risquée, mais parfois avantageuse. Certains fantaisistes de music-hall ou de cabaret gagnent, eux, me dit-on, jusqu’à 100.000 francs par nuit. Pour tous les comédiens, bons ou mauvais, arrivés ou ratés, il y e la radio, la synchronisation (doublage de filins) et la télévision : les premiers y sont invités, les seconds admis, non sans mal. Pour les uns, ces chemins nouveaux sont une escapade, pour les autres, une Voie de garage. Les cachets de la radio vont, suivant la classe du comédien, de 1.900 à 4.500 francs pour une émission d’une demi-heure. Quant à la synchronisation, elle est payée de 1.7410 à 6.500 francs par jour. LA. V1-1.■:.‘ ITE 1/E NOEMIlliEl’ X (;OMEI)I ENS C’est estimer me- profession que de réclamer le relève-ment de son niveau. Une sélection plus rigoureuse réduirait une quantité pléthorique et accroîtrait une qualité déficiente. Trop de gentilshommes cessent de l’élrr en retirant Icu costume. Pour un comédien distingué, ou racé, dis sont d’une vulgarité soit immédiatement manifeste. soit rapide-ment trahie par la prononciation ou l’accent. Entendons-nous certains excellents comiques font rire par leur vulgarité ou l’imitation de la vulgarité: ceux-là sont à leur place, s’ils y restent. Mais je veux parler de ceux qui jouent les Grands d’Espagne, les lords, les marquis — voire les dieux — et dont le grasseyement nasillard ou traînard, plus spécialement « parigot ou bics les gestes triviaux sont incompatibles avec les personnages qu’ils prétendent incarner el les auteurs qu’ils osent interpréter. .le Tif, citerai pas de noms, bien sûr. Mais ti la Coniedie-Ertœcaise même — je donnerai quand on le voudra les preuves de ce que j’avance. Plus cou-rante encore est l’abusive élision des « s, telle que «j’y.. dis que j’Incise. ÉPURATION ET RELÈVEMENT Je souhaiterais aussi que de bons comédiens n’accep-tassent plus de se cotnprotnettre dans de mauvaises pièces ou dans de mauvais films ; que leur avis fût plus souvent demandé et respecté. Pour ne prendre qu’un exemple, celui d’une pièce montée dernièrement à la salle Luxembourg, on s’explique mal qu’une dizaine de comédiens français — cédant peut-être au désir personnel d’une de leurs camarades — n’aient pas mis leur veto lors de la première lecture. Oui, le comédien devrait avoir son mot à dire, courageusement, aux directeurs et aux auteurs, aux producteurs et aux scénaristes. Il en serait grandi, car lui prête son nom son prestige. Il n’était pas rare autrefois — et il arrive encore aujourd’hui — qu’un garçon, ou une tille, fût considéré comme perdu pour sa famille lorsqu’il— ou elle — voulait « faire du théâtre tt (on dit plus souvent maintenant « faire du cinéma»). Ces intentions, jugées extravagantes,ont causé et causent la désolation de nombreux parents. J’estime que lorsqu’une vraie vocation existe chez leurs enfants ils auraient tort de la contrarier, provoquant ainsi un grave refoulement ou un regret tenace. Mais je tiens que dans tous les autres cas c’est rendre service aux jeunes que de leur conseiller une autre voie. Car c’est le vrai métier du vrai comédien que je voulais aujourd’hui dégager de sa gangue, épurer au sens noble do mot, afin qu’il soit mieux compris, estimé et aimé. 0m-sen Quitas, A quelques semaines d’intervalle, Jacques Copeau et Charles Dullin noms ont quittéé. Ces dent: apôtres du théittre ont rempli leur mission, ont fait école. Ce n’est pas seulement leur souvenir qui nous reste, »mis une grande leçon de conscience et de sincérité, d’absolu dévouement é l’art dramatique. 4